Positions de Butler sur le harcélement sexuel, la pornographie et la prostitution
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Jezebel
Philibert
6 participants
- Philibert—
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Date d'inscription : 01/01/2013
Si des femmes disent que la prostitution résulte d’un choix stratégique de leur part, MacKinnon ne veut y voir qu’une fausse conscience, et un faux consentement, en disant par exemple qu’elles ont été victimes d’abus sexuels dans leur enfance.
C'est pour cela que je fis qu'il ne suffit pas de parler de liberté : un acte libre se démontre ou se déconstruit... Pourtant Butler n'est pas idiote, mais elle a une position libérale sur la question.
- JezebelAncien⋅ne
- Messages : 2182
Date d'inscription : 18/07/2012
Donc Butler nie la structure sociale qui met la classe homme en position dominante (je fais référence à ses propos concernant le harcèllement sexuel) et pense qu'il s'agit de situation exceptionnelles (eventuellement liées à l'expression de la sexualité)?
C'est pr être sûre que j'ai bien compris... :hein:
C'est pr être sûre que j'ai bien compris... :hein:
- Philibert—
- Messages : 559
Date d'inscription : 01/01/2013
Ben en fait non, elle ne nie pas la domination masculine et les déterminismes... Mais perso je ne connais pas suffisamment sa pensée, et pour ce qu'en je connais, il faudrait que je me replonge dans les écrits que j'ai d'elle... Par contre, c'est sûr (enfin presque)
qu'elle n'est pas révolutionnaire politiquement, du coup elle refuse de penser des "utopies" post-domination... Personnellement je pense que c'est à la possibilité de telles révolutions qu'on peut jauger (ce n'est certes pas le seul moyen de le faire, mais c'est un moyen puissant, je trouve) de la possibilité d'une liberté. A partir du moment où on en fait le deuil (ce qui suppose qu'on y ai cru !), on est bien obligé de sortir des trucs énormes du genre c'est naturel (c'est pas le cas de Butler) ou : à choisir la prostitution c'est pas pire que le mariage... En admettant que le mariage suppose un sorte de prostitution (l'argument est quand même éculé, mais bon), on peut si on pense les chose en termes révolutionnaires dire : ben finissons-en avec le mariage ET la prostitution... Mais bon si on pense que la transformation ne peut pas être radicale, on est bien obligé de justifier les choses.
... On a pas de spécialiste de Butler sur le forum ?
qu'elle n'est pas révolutionnaire politiquement, du coup elle refuse de penser des "utopies" post-domination... Personnellement je pense que c'est à la possibilité de telles révolutions qu'on peut jauger (ce n'est certes pas le seul moyen de le faire, mais c'est un moyen puissant, je trouve) de la possibilité d'une liberté. A partir du moment où on en fait le deuil (ce qui suppose qu'on y ai cru !), on est bien obligé de sortir des trucs énormes du genre c'est naturel (c'est pas le cas de Butler) ou : à choisir la prostitution c'est pas pire que le mariage... En admettant que le mariage suppose un sorte de prostitution (l'argument est quand même éculé, mais bon), on peut si on pense les chose en termes révolutionnaires dire : ben finissons-en avec le mariage ET la prostitution... Mais bon si on pense que la transformation ne peut pas être radicale, on est bien obligé de justifier les choses.
... On a pas de spécialiste de Butler sur le forum ?
- Philibert—
- Messages : 559
Date d'inscription : 01/01/2013
Et comme elle n'est pas sociologue, elle ne prend que ce qui l'intéresse dans la socio... Elle est philosophe, et à un moment donné ça a son importance dans la manière dont tu penses... Certes il y a des sociologues libéraux - en France on a Bourdon, par exemple, mais même lui n'arrive pas à affirmer dans la pratique qu'homo oeconomicus existe... Il est obligé d'admettre que personne ne possède toutes les informations pour agir en pleine rationalité libérale.
- AraignéeAncien⋅ne
- Messages : 4550
Date d'inscription : 02/09/2012
Les souteneurs que Bulter elle connait, ce sont des bisounours-macs non ?Au moins, dans la prostitution, la femme peut demander au souteneur de garantir son temps et son prix.
- Judy Squires—
- Messages : 289
Date d'inscription : 21/05/2012
Bonjour à touTEs,
Pour ce qui est de la position de Butler, ce que j'en saisis compte-tenu du fait que je l'ai pas mal lue, c'est son attention assez forte à la façon dont certaines théorisations, et par dessus tout certains modes d'action qui se présentent comme des stratégies émancipatrices peuvent in fine contribuer à figer (de façon discursive parce que c'est le niveau auquel elle se place, mais en même temps elle ne fait pas appel au dualisme discursivisme/matérialisme) les positions des actrICEs des jeux de pouvoirs qui se déroulent, et donc à ne pas du tout permettre en réalité l'émancipation de celleux qui en on le plus besoin, en cela que ces mesures ne permettent en réalité pas l'augmentation de leur capacité d'agir. L'autre aspect important de sa pensée, c'est de reprendre l'idée que le pouvoir n'est pas quelque chose qui appartient à des groupes sociaux qui l'exercent sur d'autres, mais un jeu qui se joue à deux, à travers l'aller-retour perpétuel résistance-attaque : il n'y a donc pas d'extérieur du pouvoir, les mouvements de résistance en font partie, et il ne faut donc pas penser un projet d'émancipation comme "un monde sans pouvoir", mais plutôt comme l'extension de la capacité d'agir des plus minoriséEs/stigmatiséEs/violentéEs.
C'est par exemple sur cette base là qu'elle réfute les idées de fausse conscience eet de faux consentement, en s'attachant à montrer que pour les plus minorisées des femmes et des minorités sexuelles/de genre, ce n'est pas un "faux consentement" que de consentir à des choses auxquelles les féministes hégémoniques considèrent qu'on ne peut pas consentir, mais une stratégie de survie, et que la "suppression" artificielle de cette stratégie de survie n'augmente en rien leur capacité d'agir... De la même façon, sur le harcèlement sexuel, il me semble que son propos n'est pas que son propos soit de nier le fait que la grande majorité des cas de harcèlement se passent de la même façon, mais plutôt d'attirer l'attention sur le fait qu'en se privant d'un ancrage contextuel clair, en gros en en faisant un système qui agit indépendamment des agentEs, le risque est grand de raisonner d'une façon erronée, donc de juger (puisque là le terrain de réflexion est bien un terrain judiciaire) d'une façon inadaptée, jugement dont les conséquences se feront d'abord sentir chez celleux qui se trouvent en situation la plus critique par rapport aux violences, discriminations et stigmatisations qu'ielles peuvent subir.
Pour ce qui est de la position de Butler, ce que j'en saisis compte-tenu du fait que je l'ai pas mal lue, c'est son attention assez forte à la façon dont certaines théorisations, et par dessus tout certains modes d'action qui se présentent comme des stratégies émancipatrices peuvent in fine contribuer à figer (de façon discursive parce que c'est le niveau auquel elle se place, mais en même temps elle ne fait pas appel au dualisme discursivisme/matérialisme) les positions des actrICEs des jeux de pouvoirs qui se déroulent, et donc à ne pas du tout permettre en réalité l'émancipation de celleux qui en on le plus besoin, en cela que ces mesures ne permettent en réalité pas l'augmentation de leur capacité d'agir. L'autre aspect important de sa pensée, c'est de reprendre l'idée que le pouvoir n'est pas quelque chose qui appartient à des groupes sociaux qui l'exercent sur d'autres, mais un jeu qui se joue à deux, à travers l'aller-retour perpétuel résistance-attaque : il n'y a donc pas d'extérieur du pouvoir, les mouvements de résistance en font partie, et il ne faut donc pas penser un projet d'émancipation comme "un monde sans pouvoir", mais plutôt comme l'extension de la capacité d'agir des plus minoriséEs/stigmatiséEs/violentéEs.
C'est par exemple sur cette base là qu'elle réfute les idées de fausse conscience eet de faux consentement, en s'attachant à montrer que pour les plus minorisées des femmes et des minorités sexuelles/de genre, ce n'est pas un "faux consentement" que de consentir à des choses auxquelles les féministes hégémoniques considèrent qu'on ne peut pas consentir, mais une stratégie de survie, et que la "suppression" artificielle de cette stratégie de survie n'augmente en rien leur capacité d'agir... De la même façon, sur le harcèlement sexuel, il me semble que son propos n'est pas que son propos soit de nier le fait que la grande majorité des cas de harcèlement se passent de la même façon, mais plutôt d'attirer l'attention sur le fait qu'en se privant d'un ancrage contextuel clair, en gros en en faisant un système qui agit indépendamment des agentEs, le risque est grand de raisonner d'une façon erronée, donc de juger (puisque là le terrain de réflexion est bien un terrain judiciaire) d'une façon inadaptée, jugement dont les conséquences se feront d'abord sentir chez celleux qui se trouvent en situation la plus critique par rapport aux violences, discriminations et stigmatisations qu'ielles peuvent subir.
- koAncien⋅ne
- Messages : 2496
Date d'inscription : 31/10/2011
Désolée, mais la stigmatisation des hommes hétérosexuels soi disant produite par les écrits féministes, je trouve ça dingue (pour le reste, le fait que les analyse de l'hétérosexualité puissent avoir aussi comme effet d'invisibiliser la situation des lesbiennes et des bisexuelles, oui, effectivement).
Autant, en te lisant, lady Pora, je peux voir l'intérêt d'une telle pensée pour certaines (et pê encore plus pour certains, mais pas pour les mêmes raisons), même si je trouve cette absence d'horizon/d'idéal (c'est l'impression que ça me donne) assez déprimante en ce qui me concerne et pour ma vie quotidienne.
Et pareil, outre le fait que je trouve qu'elle résume les pensées de Dworkin et de Mc Kinnon de façon malhonnête, il y a comme antisexisme plein de trucs qui m'ont fait plusieurs fois lever les cheveux.
Cette facilité de nier d'un revers de main les potentiels effets de la pornographie sur la sexualité que nous sommes pas mal à connaître:
La capacité à s'apitoyer sur les pauvres consommateurices de pornographie: donc, maintenant, limite si on nie la capacité d'agir des consommateurs de pornographie, pour dire que les actrices elles en ont une:
et là le ponpon:
Le fait d'admettre qu'il puisse y avoir une violence littérale dans les snuff movies sous-entendu pas ailleurs aussi: WTF???
Faire de l'approche de la prostitution par Dworkin/Mc Kinnon un "problème de liberté d'expression": WTF (surtout que pas étayé historiquement par quoi que ce soit)??
L'argument bateau de chez bateau de louer ses bras comme femme de ménage (en France on a aussi la version caissière) = louer son corps qui a déjà été tellement déconstruit que je vais pas revenir dessus, et qui a fait bizarre à antisexisme aussi.
(Ou pas. Et qu'est ce qu'elle propose dans ce cas là? Je veux dire, moi, dès que je sens une once de pouvoir, ça m'enlève toute envie; ça ne veut pas dire qu'il n'y en ait pas de pouvoir dans ma sexualité, c'est juste qu'il existe des personnes qui ne trouvent pas cela excitant, que ça dégoute, même: qu'est ce qu'on fait dans ce cas là?)
Il y a d'autres critiques que je peux entendre, évidemment, là je note celles qui me font sauter au plafond (d'énervement, je précise^^).
Autant, en te lisant, lady Pora, je peux voir l'intérêt d'une telle pensée pour certaines (et pê encore plus pour certains, mais pas pour les mêmes raisons), même si je trouve cette absence d'horizon/d'idéal (c'est l'impression que ça me donne) assez déprimante en ce qui me concerne et pour ma vie quotidienne.
Tu peux dévellopper, stp? J'ai du mal à voir ce que ça peut donner dans le réel, en fait ( mais pareil, je ne suis pas du tout d'accord pour dire que Mc Kinnon et Dworkin fabriquent un système qui agit indépendamment de ses agentes; juste qu'elles ont tendance à mettre l'agentivité plutôt coté consommateur )...lady pora a écrit:mais plutôt d'attirer l'attention sur le fait qu'en se privant d'un ancrage contextuel clair, en gros en en faisant un système qui agit indépendamment des agentEs, le risque est grand de raisonner d'une façon erronée, donc de juger (puisque là le terrain de réflexion est bien un terrain judiciaire) d'une façon inadaptée, jugement dont les conséquences se feront d'abord sentir chez celleux qui se trouvent en situation la plus critique par rapport aux violences, discriminations et stigmatisations qu'ielles peuvent subir.
Et pareil, outre le fait que je trouve qu'elle résume les pensées de Dworkin et de Mc Kinnon de façon malhonnête, il y a comme antisexisme plein de trucs qui m'ont fait plusieurs fois lever les cheveux.
Cette facilité de nier d'un revers de main les potentiels effets de la pornographie sur la sexualité que nous sommes pas mal à connaître:
butler a écrit:Certes, Andrea Dworkin a prétendu s’appuyer sur des études empiriques montrant les conséquences psychiques et comportementales de la consommation la pornographie — mais les enquêtes ne sont guère probantes : elles se contredisent, et on ne peut pas les prendre vraiment au sérieux.
La capacité à s'apitoyer sur les pauvres consommateurices de pornographie: donc, maintenant, limite si on nie la capacité d'agir des consommateurs de pornographie, pour dire que les actrices elles en ont une:
butler a écrit:c’étaient surtout des types paumés, qui n’avaient pas grand-chose à faire ; le plaisir qu’ils prenaient à la pornographie n’avait guère de conséquence dans leur regard sur les femmes, ou leurs rapports avec elles. Du reste, beaucoup étaient radicalement impuissants.
et là le ponpon:
On a l'impression qu'elle n'a même pas pris la peine de lire Dworkin, alors que tout ce que Dworkin écrit est justement tiré de l'expériences d'anciennes actrices porno comme Linda Marciano, et des tonnes d'autres; c'est justement ce qui est marquant chez Dworkin; le fait que ce qu'elle écrit sur la prostitution est toujours ramené au réel des personnes qui peuplent les films pornographiques.butler a écrit:En outre, plutôt que de se lancer dans une police des fantasmes, il y a de quoi parler des actes, d’actes violents contre les femmes, les agressions, les viols, des problèmes très sérieux et graves auxquels les féministes doivent prêter attention. Mais ce qui s’est passé, avec le mouvement anti-pornographie, et même avec les grands défilés contre la violence (Take Back the Night, c’est-à-dire « reprendre la nuit »), c’est qu’on a moins prêté attention aux agressions et aux viols réels, et plus aux représentations pornographiques.
Le fait d'admettre qu'il puisse y avoir une violence littérale dans les snuff movies sous-entendu pas ailleurs aussi: WTF???
Faire de l'approche de la prostitution par Dworkin/Mc Kinnon un "problème de liberté d'expression": WTF (surtout que pas étayé historiquement par quoi que ce soit)??
L'argument bateau de chez bateau de louer ses bras comme femme de ménage (en France on a aussi la version caissière) = louer son corps qui a déjà été tellement déconstruit que je vais pas revenir dessus, et qui a fait bizarre à antisexisme aussi.
butler a écrit:
Je dirais que le pouvoir est une dimension très excitante de la sexualité.
(Ou pas. Et qu'est ce qu'elle propose dans ce cas là? Je veux dire, moi, dès que je sens une once de pouvoir, ça m'enlève toute envie; ça ne veut pas dire qu'il n'y en ait pas de pouvoir dans ma sexualité, c'est juste qu'il existe des personnes qui ne trouvent pas cela excitant, que ça dégoute, même: qu'est ce qu'on fait dans ce cas là?)
Il y a d'autres critiques que je peux entendre, évidemment, là je note celles qui me font sauter au plafond (d'énervement, je précise^^).
- GruntBanni·e
- Messages : 2074
Date d'inscription : 27/09/2011
La mécanique de la justice appliquée aux personnes les plus opprimées, ça me fait tout de suite penser à ce billet :ko a écrit:Tu peux développer, stp? J'ai du mal à voir ce que ça peut donner dans le réel, en fait.lady pora a écrit:mais plutôt d'attirer l'attention sur le fait qu'en se privant d'un ancrage contextuel clair, en gros en en faisant un système qui agit indépendamment des agentEs, le risque est grand de raisonner d'une façon erronée, donc de juger (puisque là le terrain de réflexion est bien un terrain judiciaire) d'une façon inadaptée, jugement dont les conséquences se feront d'abord sentir chez celleux qui se trouvent en situation la plus critique par rapport aux violences, discriminations et stigmatisations qu'ielles peuvent subir.
http://melange-instable.blogspot.fr/2012/10/vie-de-tox-perquisition-et-garde-vue.html
D'ailleurs, ça me fait penser au fait que sur Twitter les personnes les plus critiques vis à vis du renvoi dos à dos des fachos et antifas (dans le dernier billet de Spermufle par ex.) appartiennent aux catégories sociales les plus opprimées : prostitué-e-s, trans, drogué-e-s.. et qui vivent le fascisme militant ou ordinaire au quotidien, qui en prennent toute la violence dans la figure.
Je me demande si le "clash" entre le féminisme "légaliste" et les thèses de Butler (et d'autres) ne tient pas à une différence fondamentale de perception de l'état de droit, de la justice, de la police..
Peut-être que pour les femmes blanches hétéros cisgenres, "des lois supplémentaires" se traduit par des actions positives (par exemple contre les violences conjugales, les discriminations salariales..), mais il existe de nombreuses personnes pour qui toute intervention de la puissance publique dans leur vie a des conséquences catastrophiques, en l'état actuel des institutions. Le conflit sur la question de la prostitution me semble relever de la même problématique, un clash entre les personnes "en dehors du système" et celles qui entrent suffisamment dans les cases (pour, par exemple, trouver d'autres sources de revenu que la prostitution.)
- koAncien⋅ne
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Date d'inscription : 31/10/2011
On est d'accord; mais j'ai toujours du mal à voir en quoi les lois sur le harcèlement ou sur la pornographie imaginée par Mc Kinnon et Dworkin permettant aux personnes estimant avoir subi un dommage par leur activité en tant qu'actrice de pornographie de porter plainte contre l'utilisation qui est faite de leur image et contre les personnes qu'elles estiment avoir profité de la situation dans laquelle elles étaient, procèdent de la même logique que les lois anti-drogue ou les lois sur le racolage, par ex (même si on sait bien que porter plainte n'est pas non plus exempt de violence de la part des institution, et que le droit ne peut constituer l'unique réponse à apporter à ces situations).
- Philibert—
- Messages : 559
Date d'inscription : 01/01/2013
Merci Lady Pora pour le condensé de la pensée de Butler.
A te lire ou à avoir lu ce que j'ai lu d'elle, cela me donne toujours l'impression du gap que entre une pensée philosophique et la sociologie.
On peut reprocher plein de choses à Bourdieu, mais au moins a-t-il montré dans sa sociologie à quel point la domination dépassait la notion de conscience ou de fausse conscience, à travers l'incorporation de la domination que nous subissons via l'éducation et les actes sociaux qui reconfirment sans cesse les habitus ancrés. Et Mathieu de montrer que quand bien même on sortirait de l'anesthésie dans laquelle on est maintenue, on se prendrait de sacrés coups.
Secundo, je pense qu'elle ne fait pas vraiment de différence entre domination de groupe à groupe (hommes / femmes ; hétéros / homos ; etc.) et pouvoir interindividuel. La notion de structure sociale que l'on trouve dans Marx ou Durkheim. L'Etat est apparu, il n'a pas toujours existé, c'est un effet de structure né d'une explosion économique née du développement de l'agriculture, par exemple. La lutte de classe ou la lutte de sexe n'est pas une lutte entre des individu-e-s mais entre des membres construits d'un sexe ou entre des membres d'une classe. Que les rapports de force existent toujours entre individu-e-s, c'est inévitable - nous sommes tous et toutes différentes, et pas des clones - mais les dominations de groupes à groupes - dont la prostitution ou la pornographie ne sont que des illustrations - n'ont rien d'éternel dans le passé, ni dans le futur. Elles apparaissent et disparaissent, et une société pourrait très bien les empêcher. Pour qu'il y ait de la prostitution et de la pornographie, il faut d'abord qu'il y ait des hommes et des femmes, catégories qui sont construites, avant qu'il y ait des individu-e-s. La prostituée qui négocie avec son patron bisounours doit d'abord faire catégorie dominée avant d'être prostituée. Y a pas de hors pouvoir, mais il peut y avoir du hors pouvoir de groupe à groupe. On n'est jamais que deux, en nous il y a la "masculinité" et la "féminité" qui sont le groupe. Et la première choses pour sortir de la lutte entre groupes qui détermine les luttes entre individu-e-s c'est de refuser les choses non pas tant à un niveau individuel qu'à un niveau global... Dire non en général à la prostitution ou la l'exploitation capitaliste, c'est un appel politique global et révolutionnaire.
Avec des Butler, aurions nous eu des révolutions, mêmes avortées ?
"...l'extension de la capacité d'agir des plus minoriséEs/stigmatiséEs/violentéEs..." C'est la reconnaissance que ces catégories - pourtant nées historiquement - seraient éternelles... Et qu'on ne peut lutter pour que pour avoir plus (et donc qu'on peut aussi tout perdre). Ca me rappelle la société "plus juste" des membres du p"s"... Une société plus juste n'est pas juste, précisément. L'acceptation qu'il y a des dominants faisant groupes et des minorités dominées. Il y a une différence entre la personne qui va négocier son augmentation de salaire (et qui risque de se faire virer) et l'ensemble des salarié-e-s qui jette le patron par la fenêtre en proclamant l'autogestion, différence entre une usine qui le ferait et une majorité d'usines où cela se passerait à travers le monde. La révolution n'est pas une série de négociation de salaire les unes à la suite des autres, mais la prise du moyen de production.
Quant au refus de la "fausse conscience", de l'aliénation, ou quel que soit le nom qu'on lui donne... encore faut-il que notre esprit ne soit pas dressé à penser de telle ou telle manière pour en sortir d'une part, que notre corps ne fasse pas nous sentir mal à l'aise quand nous agissons contrairement à la norme, et d'autre part encore, en admettant que l'on a pas affaire à un dressage mais à un manque d'information, encore faudrait-il que les opprimé-e-s aient accès à tout le savoir pour tout comprendre de la domination. Aucune des deux conditions n'existe dans une société de domination. Donc son schémas me semble quelque peu une construction de personne se sentant au dessus de la masse.
Enfin, point trace de la psychanalyse qui montre (dans La Vie psychique du pouvoir, elle en parle, mais n'en prend pas la mesure du tout) - quand on ne reste pas dans sa conceptualisation sexiste - que nous ne sommes pas que des êtres de conscience, dressé-e-s par les normes sociales... mais qu'en plus nous sommes agi-e-s par des forces inconscientes marquées par la domination.
A te lire ou à avoir lu ce que j'ai lu d'elle, cela me donne toujours l'impression du gap que entre une pensée philosophique et la sociologie.
On peut reprocher plein de choses à Bourdieu, mais au moins a-t-il montré dans sa sociologie à quel point la domination dépassait la notion de conscience ou de fausse conscience, à travers l'incorporation de la domination que nous subissons via l'éducation et les actes sociaux qui reconfirment sans cesse les habitus ancrés. Et Mathieu de montrer que quand bien même on sortirait de l'anesthésie dans laquelle on est maintenue, on se prendrait de sacrés coups.
Secundo, je pense qu'elle ne fait pas vraiment de différence entre domination de groupe à groupe (hommes / femmes ; hétéros / homos ; etc.) et pouvoir interindividuel. La notion de structure sociale que l'on trouve dans Marx ou Durkheim. L'Etat est apparu, il n'a pas toujours existé, c'est un effet de structure né d'une explosion économique née du développement de l'agriculture, par exemple. La lutte de classe ou la lutte de sexe n'est pas une lutte entre des individu-e-s mais entre des membres construits d'un sexe ou entre des membres d'une classe. Que les rapports de force existent toujours entre individu-e-s, c'est inévitable - nous sommes tous et toutes différentes, et pas des clones - mais les dominations de groupes à groupes - dont la prostitution ou la pornographie ne sont que des illustrations - n'ont rien d'éternel dans le passé, ni dans le futur. Elles apparaissent et disparaissent, et une société pourrait très bien les empêcher. Pour qu'il y ait de la prostitution et de la pornographie, il faut d'abord qu'il y ait des hommes et des femmes, catégories qui sont construites, avant qu'il y ait des individu-e-s. La prostituée qui négocie avec son patron bisounours doit d'abord faire catégorie dominée avant d'être prostituée. Y a pas de hors pouvoir, mais il peut y avoir du hors pouvoir de groupe à groupe. On n'est jamais que deux, en nous il y a la "masculinité" et la "féminité" qui sont le groupe. Et la première choses pour sortir de la lutte entre groupes qui détermine les luttes entre individu-e-s c'est de refuser les choses non pas tant à un niveau individuel qu'à un niveau global... Dire non en général à la prostitution ou la l'exploitation capitaliste, c'est un appel politique global et révolutionnaire.
Avec des Butler, aurions nous eu des révolutions, mêmes avortées ?
"...l'extension de la capacité d'agir des plus minoriséEs/stigmatiséEs/violentéEs..." C'est la reconnaissance que ces catégories - pourtant nées historiquement - seraient éternelles... Et qu'on ne peut lutter pour que pour avoir plus (et donc qu'on peut aussi tout perdre). Ca me rappelle la société "plus juste" des membres du p"s"... Une société plus juste n'est pas juste, précisément. L'acceptation qu'il y a des dominants faisant groupes et des minorités dominées. Il y a une différence entre la personne qui va négocier son augmentation de salaire (et qui risque de se faire virer) et l'ensemble des salarié-e-s qui jette le patron par la fenêtre en proclamant l'autogestion, différence entre une usine qui le ferait et une majorité d'usines où cela se passerait à travers le monde. La révolution n'est pas une série de négociation de salaire les unes à la suite des autres, mais la prise du moyen de production.
Quant au refus de la "fausse conscience", de l'aliénation, ou quel que soit le nom qu'on lui donne... encore faut-il que notre esprit ne soit pas dressé à penser de telle ou telle manière pour en sortir d'une part, que notre corps ne fasse pas nous sentir mal à l'aise quand nous agissons contrairement à la norme, et d'autre part encore, en admettant que l'on a pas affaire à un dressage mais à un manque d'information, encore faudrait-il que les opprimé-e-s aient accès à tout le savoir pour tout comprendre de la domination. Aucune des deux conditions n'existe dans une société de domination. Donc son schémas me semble quelque peu une construction de personne se sentant au dessus de la masse.
Enfin, point trace de la psychanalyse qui montre (dans La Vie psychique du pouvoir, elle en parle, mais n'en prend pas la mesure du tout) - quand on ne reste pas dans sa conceptualisation sexiste - que nous ne sommes pas que des êtres de conscience, dressé-e-s par les normes sociales... mais qu'en plus nous sommes agi-e-s par des forces inconscientes marquées par la domination.
- koAncien⋅ne
- Messages : 2496
Date d'inscription : 31/10/2011
Oui, j'ai lu, j'étais morte de rire, surtout lorsqu'elle reformule les textes de Butler de manière compréhensible ^^, mais il y a aussi des trucs qui me font tiquer dans ce texte...
- JezebelAncien⋅ne
- Messages : 2182
Date d'inscription : 18/07/2012
Qu'est-ce qui t'as fait tiquer, Ko?
Je suis aussi en train de lire, merci d'avoir partagé, Antisexisme. :)Du coup, je me sens un peu moins bête de ne pas arriver à la comprendre systématiquement.
J'aime aussi l"idée avancée par M.N qu'une idée claire est détachée de son auteur-e et n'a pas besoin d'elle ou lui pour être valide et validée, ce qui, je suppose tend à leur conférer une certaine universalité (enfin là c'est moi qui interprête pour l'universalité).
Je suis aussi en train de lire, merci d'avoir partagé, Antisexisme. :)Du coup, je me sens un peu moins bête de ne pas arriver à la comprendre systématiquement.
J'aime aussi l"idée avancée par M.N qu'une idée claire est détachée de son auteur-e et n'a pas besoin d'elle ou lui pour être valide et validée, ce qui, je suppose tend à leur conférer une certaine universalité (enfin là c'est moi qui interprête pour l'universalité).
- GruntBanni·e
- Messages : 2074
Date d'inscription : 27/09/2011
Est-ce que ça n'entre pas en contradiction avec la notion de dominant-splaining ?Jezebel a écrit:
J'aime aussi l"idée avancée par M.N qu'une idée claire est détachée de son auteur-e et n'a pas besoin d'elle ou lui pour être valide et validée, ce qui, je suppose tend à leur conférer une certaine universalité (enfin là c'est moi qui interprête pour l'universalité).
- InvitéInvité
...
- GruntBanni·e
- Messages : 2074
Date d'inscription : 27/09/2011
Qu'en termes nuancés ces choses-là sont dites.
- InvitéInvité
...
- JezebelAncien⋅ne
- Messages : 2182
Date d'inscription : 18/07/2012
Je sais pas comment vous en êtes arrivés à cette histoire de splaining... o_O
Parce que par auteur-e j'entendais la personne qui écrit et qui developpe l'idée, sa pensée quoi.
Parce que par auteur-e j'entendais la personne qui écrit et qui developpe l'idée, sa pensée quoi.
- Judy Squires—
- Messages : 289
Date d'inscription : 21/05/2012
J'ai peut-être encore deux ou trois choses à ajouter sur des idées qui me viennent de la lecture de Butler.
Par exemple, lorsque Philibert tu parles du fait qu'il existe une certaine structure sociale qui définit des groupes, je pense que Butler prend ça en compte. Ainsi, l'objet de Gender trouble, c'est en grande partie de déterminer quels sont les concepts intellectuels qui permettent de rendre compte du fait que dans le régime politique qu'elle appelle "la matrice hétérosexuelle" on ne peut devenir un être humain qu'en affirmant/étant affirméE dans un genre. Qui plus est, avant de parvenir à ce que la plupart des gentes en retiennent, à savoir la "performativité du genre" (qui est a fortiori je pense très mal comprise, mais c'est une autre question), elle écrit de longues pages destinées à expliquer que le point de départ de sa réflexion, à savoir la volonté de rompre avec "fémiinisme = le mouvement des femmes", n'a pas pour objet de dire "nan mais les hommes sont oppressés pareils" ou bien "les femmes n'ont plus besoin du féminisme", mais plutôt de prendre au sérieux la question de l'exclusion de certaines femmes du mouvement féministe.
Je ne dis pas que sa réponse est la bonne (ce n'est pas vraiment mon avis), mais force est de constater que balayer la question d'un revers de main me paraît dangereux.
Un autre élément de réflexion important dans Gender Trouble, c'est de réfléchir au fait que la bonne façon de modéliser une norme n'est pas de l'envisager sous la forme structuraliste de Loi. Pour le dire plus simplement, oui les normes définissent dans une certaine mesure une structure, mais la société ne se confond jamais totalement avec cette structure. C'est peut-être à partir de là que peut se dessiner une vraie rupture avec la sociologie bourdieusienne que tu mets en avant. Dans la façon dont tu mobilises Bourdieu, on a la sensation que tout est dit, que tout le monde a incorporé toutes les dominations et que les jeux sont faits (et Bourdieu lui-même était très sceptique quand aux actions politiques menées par des dominéEs ayant incorporé la domination...). Pour Butler, nos corps sont en effet soumis à des normes, mais ces normes sont toujours faillibles et susceptibles d'être mises en échec. Par exemple, l'hétérosexualité est un régime politique défini par un certain entrecroisement de normes liées à l'apparence physique, à certaines continuités entre organes et aux interactions sexuelles. Il n'en reste pas moins que l'on trouve au sein même du régime hétérosexuel des gouines, des pédés, des personnes trans, des féministes qui ne sont pas "dehors" et qui pour autant ne correspondent pas à toutes les normes...
En ce qui concerne les questions de législation anti-porno, là je ne me réfère pas à Butler directement et je ne connais pas très bien les enjeux juridiques des lois proposées par McKinnon. En revanche, il me semble que Gayle Rubin montre assez bien dans certains textes de quelle façon des mesures de censure antiporno qui avaient été édictées par la droite conservatrice (visiblement avec un appui de certaines féministes des mouvements antiporno) s'appliquaient bien plus aux productions gay et lesbiennes qu'aux productions hétérosexuelles, et entravaient même à l'occasion l'accès à du matériel non-pornographique liés aux milieux gouines et pédés. De la même façon, les législations anti-maison close des US dans les années 70 étaient surtout utilisées pour harceler les clientEs et patronNEs de sex-club gays et lesbiens BDSM... Je ne sais pas si c'est exactement à ça que Butler fait référence, mais je pense que cela fait partie des choses qui comptent dans la perception que l'on peut avoir des mesures étatiques visant à la régulation de la sexualité : elles peuvent partir de bons sentiments, d'analyses féministes etc., mais en défintive les législations sexuelles s'appliquent avant tout à celleux qui sont définiEs comme déviantEs, ce qui concerne avant tout les minorités sexuelles, et pas les agresseuSEs...
Pour ce qui est de l'article de MN, il fait mouche sur un certain nombre de points, mais je pense aussi qu'il rate un certain nombre de choses. Par exemple, je crois qu'il manque assez largement le fait que si Butler a un ancrage universitaire évident, elle ne reste pas non plus complètement dans sa tour d'ivoire à ne rien faire. En termes d'implications dans les mouvements lgbt et queer, elle a pris des positions fortes sur l'homonationalisme (refus de prix qui lui étaient attribués par exemple). Elle est par ailleurs impliquée dans les mouvements juifs antisionistes. Et du point de vue de sa réception, si elle ne s'est pas faite dans les mouvements féministes traditionnels, j'ai peur que la limiter aux universités soit un peu réducteur ; je pense que c'est aussi passer à côté du fait que les années au cours desquelles elle a commencé à être connue correspondent aussi à un regain d'activisme féministe chez des personnes qui avaient auparavant été exclues des mouvements féministes : on peut penser aux lesbiennes opposées à la promotion d'une certaine version du lesbianisme politique dans le féminisme US, aux gouines BDSM, aux femmes trans, à certaines femmes racisées etc. Alors certes c'est une réception très ambivalente puisqu'elle se fait beaucoup par la critique de Butler dans ces mouvements féministes non-hégémoniques, mais ça ne veut pas complètement dire que "ça ne sert à rien" etc.
Pour finir, sur "y aurait-il des révolutions avec que des Butler", je crois qu'il faut prendre au sérieux l'échec de toutes les tentatives révolutionnaires et/ou de l'immense majorité des mouvements d'émancipation depuis 100 ans. Et je parle autant des mouvements anticapitalistes, de la Révolution russe aux tentatives catalanes, en passant par les mouvements tiers-mondistes et Mai 68, que des mouvements féministes des années 60-70 : le fait est que le patriarcat et le capitalisme sont toujours en place. De là, on a trois possibilités :
- soit on attribue cet échec au fait "qu'en face" ielles sont vraiment très bien organiséEs et méchantEs, et qu'on a plein de traîtreSSEs chez nous. C'est la position assumée dans les milieux antiK par les léninistes, trotskistes, anarchistes "classiques". Et dans les milieux féministes par leurs épigones, c'est à dire la plupart des féministes qui se disent radicales et/ou matérialistes.
- soit on se dit que le paradigme de la révolution et de l'émancipation de façon générale doit être abandonné dans son ensemble, c'est la voie suivie par celleux qui sont passéEs du col Mao au Rotary Club, de la Nouvelle Droite etc.
- soit on se dit que ces échecs sont liés au fait qu'on allait pas dans la bonne direction, que l'idée de révolution et d'émancipation garde sa pertinence mais doit être réélaborée pour aller dans une voie réellement émancipatrice. C'est une position très minoritaire et difficile à tenir lorsque l'on est prisE entre Washington et Moscou (les deux positions précédentes étant en général largement majoritaires). Dans une certaine mesure, je pense que Butler hérite de ce type de réflexion, même si je ne suis pas d'accord avec les conséquences qu'elle en tire. Je ne pense pas qu'elle doit être condamnée parce qu'elle demande de laisser sur le côté les appels à l'unité de l'ancien cycle de luttes, ou les conceptions du pouvoir et de la domination qui en découlent. Au contraire, j'essaie de prendre au sérieux toutes les tentatives de critique féministe des mouvements féministes...
Par exemple, lorsque Philibert tu parles du fait qu'il existe une certaine structure sociale qui définit des groupes, je pense que Butler prend ça en compte. Ainsi, l'objet de Gender trouble, c'est en grande partie de déterminer quels sont les concepts intellectuels qui permettent de rendre compte du fait que dans le régime politique qu'elle appelle "la matrice hétérosexuelle" on ne peut devenir un être humain qu'en affirmant/étant affirméE dans un genre. Qui plus est, avant de parvenir à ce que la plupart des gentes en retiennent, à savoir la "performativité du genre" (qui est a fortiori je pense très mal comprise, mais c'est une autre question), elle écrit de longues pages destinées à expliquer que le point de départ de sa réflexion, à savoir la volonté de rompre avec "fémiinisme = le mouvement des femmes", n'a pas pour objet de dire "nan mais les hommes sont oppressés pareils" ou bien "les femmes n'ont plus besoin du féminisme", mais plutôt de prendre au sérieux la question de l'exclusion de certaines femmes du mouvement féministe.
Je ne dis pas que sa réponse est la bonne (ce n'est pas vraiment mon avis), mais force est de constater que balayer la question d'un revers de main me paraît dangereux.
Un autre élément de réflexion important dans Gender Trouble, c'est de réfléchir au fait que la bonne façon de modéliser une norme n'est pas de l'envisager sous la forme structuraliste de Loi. Pour le dire plus simplement, oui les normes définissent dans une certaine mesure une structure, mais la société ne se confond jamais totalement avec cette structure. C'est peut-être à partir de là que peut se dessiner une vraie rupture avec la sociologie bourdieusienne que tu mets en avant. Dans la façon dont tu mobilises Bourdieu, on a la sensation que tout est dit, que tout le monde a incorporé toutes les dominations et que les jeux sont faits (et Bourdieu lui-même était très sceptique quand aux actions politiques menées par des dominéEs ayant incorporé la domination...). Pour Butler, nos corps sont en effet soumis à des normes, mais ces normes sont toujours faillibles et susceptibles d'être mises en échec. Par exemple, l'hétérosexualité est un régime politique défini par un certain entrecroisement de normes liées à l'apparence physique, à certaines continuités entre organes et aux interactions sexuelles. Il n'en reste pas moins que l'on trouve au sein même du régime hétérosexuel des gouines, des pédés, des personnes trans, des féministes qui ne sont pas "dehors" et qui pour autant ne correspondent pas à toutes les normes...
En ce qui concerne les questions de législation anti-porno, là je ne me réfère pas à Butler directement et je ne connais pas très bien les enjeux juridiques des lois proposées par McKinnon. En revanche, il me semble que Gayle Rubin montre assez bien dans certains textes de quelle façon des mesures de censure antiporno qui avaient été édictées par la droite conservatrice (visiblement avec un appui de certaines féministes des mouvements antiporno) s'appliquaient bien plus aux productions gay et lesbiennes qu'aux productions hétérosexuelles, et entravaient même à l'occasion l'accès à du matériel non-pornographique liés aux milieux gouines et pédés. De la même façon, les législations anti-maison close des US dans les années 70 étaient surtout utilisées pour harceler les clientEs et patronNEs de sex-club gays et lesbiens BDSM... Je ne sais pas si c'est exactement à ça que Butler fait référence, mais je pense que cela fait partie des choses qui comptent dans la perception que l'on peut avoir des mesures étatiques visant à la régulation de la sexualité : elles peuvent partir de bons sentiments, d'analyses féministes etc., mais en défintive les législations sexuelles s'appliquent avant tout à celleux qui sont définiEs comme déviantEs, ce qui concerne avant tout les minorités sexuelles, et pas les agresseuSEs...
Pour ce qui est de l'article de MN, il fait mouche sur un certain nombre de points, mais je pense aussi qu'il rate un certain nombre de choses. Par exemple, je crois qu'il manque assez largement le fait que si Butler a un ancrage universitaire évident, elle ne reste pas non plus complètement dans sa tour d'ivoire à ne rien faire. En termes d'implications dans les mouvements lgbt et queer, elle a pris des positions fortes sur l'homonationalisme (refus de prix qui lui étaient attribués par exemple). Elle est par ailleurs impliquée dans les mouvements juifs antisionistes. Et du point de vue de sa réception, si elle ne s'est pas faite dans les mouvements féministes traditionnels, j'ai peur que la limiter aux universités soit un peu réducteur ; je pense que c'est aussi passer à côté du fait que les années au cours desquelles elle a commencé à être connue correspondent aussi à un regain d'activisme féministe chez des personnes qui avaient auparavant été exclues des mouvements féministes : on peut penser aux lesbiennes opposées à la promotion d'une certaine version du lesbianisme politique dans le féminisme US, aux gouines BDSM, aux femmes trans, à certaines femmes racisées etc. Alors certes c'est une réception très ambivalente puisqu'elle se fait beaucoup par la critique de Butler dans ces mouvements féministes non-hégémoniques, mais ça ne veut pas complètement dire que "ça ne sert à rien" etc.
Pour finir, sur "y aurait-il des révolutions avec que des Butler", je crois qu'il faut prendre au sérieux l'échec de toutes les tentatives révolutionnaires et/ou de l'immense majorité des mouvements d'émancipation depuis 100 ans. Et je parle autant des mouvements anticapitalistes, de la Révolution russe aux tentatives catalanes, en passant par les mouvements tiers-mondistes et Mai 68, que des mouvements féministes des années 60-70 : le fait est que le patriarcat et le capitalisme sont toujours en place. De là, on a trois possibilités :
- soit on attribue cet échec au fait "qu'en face" ielles sont vraiment très bien organiséEs et méchantEs, et qu'on a plein de traîtreSSEs chez nous. C'est la position assumée dans les milieux antiK par les léninistes, trotskistes, anarchistes "classiques". Et dans les milieux féministes par leurs épigones, c'est à dire la plupart des féministes qui se disent radicales et/ou matérialistes.
- soit on se dit que le paradigme de la révolution et de l'émancipation de façon générale doit être abandonné dans son ensemble, c'est la voie suivie par celleux qui sont passéEs du col Mao au Rotary Club, de la Nouvelle Droite etc.
- soit on se dit que ces échecs sont liés au fait qu'on allait pas dans la bonne direction, que l'idée de révolution et d'émancipation garde sa pertinence mais doit être réélaborée pour aller dans une voie réellement émancipatrice. C'est une position très minoritaire et difficile à tenir lorsque l'on est prisE entre Washington et Moscou (les deux positions précédentes étant en général largement majoritaires). Dans une certaine mesure, je pense que Butler hérite de ce type de réflexion, même si je ne suis pas d'accord avec les conséquences qu'elle en tire. Je ne pense pas qu'elle doit être condamnée parce qu'elle demande de laisser sur le côté les appels à l'unité de l'ancien cycle de luttes, ou les conceptions du pouvoir et de la domination qui en découlent. Au contraire, j'essaie de prendre au sérieux toutes les tentatives de critique féministe des mouvements féministes...
- Philibert—
- Messages : 559
Date d'inscription : 01/01/2013
Ce n'est pas un hasard si j'ai parlé de Mathieu juste après Bourdieu. Je les articule. Effectivement, je pense que l'incorporation des dominations est extrêmement efficace, néanmoins et Bourdieu le reconnaît dans tout un tas de notes de bas pages, les ruptures existent. Cela me parle d'autant plus que j'en ai connu personnellement plein dans ma vie. Cependant Bourdieu n'a pas écrit de texte sur la sortie de la domination, les réveils... D'où ses analyses très statique qui collent néanmoins bien avec la pesanteur sociale. Mais des théoriciennes comme Mathieu ont justement parlé des révoltes, ou des consciences qui se taisent.
En ce qui concerne la révolution, l'histoire n'est faite que de ça. Le capitalisme est bien apparu, il a une histoire récente, et celui-ci s'est imposé grâce à des révolutions. De même que l'Etat. Si on se limite au siècle passé, je ne comprend strictement rien à ce que tu dis. Les troisièmes voies m'ont toujours fait sourire, mais je ne comprends pas celles dont tu parles (elle a peut-être un sens, mais je ne le capte pas). Si je dois me situer, c'est dans la première possibilité... Mais pourtant je refuse le défaitisme intégral : dans chaque révolution depuis le 19ème apparaît du nouveau et de l'inédit - tout spécialement en matière de relations hommes / femmes. Et donc nous tirons une expérience transmissible du passé.
De plus je ne dirais pas que les révolutions marchent intégralement (on le saurait) ou rate intégralement... Parce qu'avant qu'elles se terminent par un échec ou une réussite, des individu-e-s commencent déjà à vivre selon le modèle qu'ils souhaitent pour l'après révolution. Exemple dès 1917-1918 des usines sont passées en autogestion en Russie, ont balancé l'argent et ont commencé à se mettre en réseau avec des usines faisant de même, au milieu d'un chaos généralisé... Et ce sont les bolcheviques qui ont mis fin à cela, pas les méchants d'en face. Dans Land & Freedom Loach en montre aussi des exemples. Pour ne rien dire de la Commune.
Comme je l'ai raconté ailleurs je pense comme Rosa Luxembourg que l'on doit - quand bien même est-on dressé dans les idées de la domination - essayer d'appliquer dans son militantisme le modèle que l'on pense être le bon pour la société future que l'on souhaite. On ne peut pas se prétendre révolutionnaire dans le futur et défendre la prostitution aujourd'hui ; si on la défend aujourd'hui c'est qu'on fond on pense qu'elle fait partie de la société et que rien ne l'éliminera.
En ce qui concerne la révolution, l'histoire n'est faite que de ça. Le capitalisme est bien apparu, il a une histoire récente, et celui-ci s'est imposé grâce à des révolutions. De même que l'Etat. Si on se limite au siècle passé, je ne comprend strictement rien à ce que tu dis. Les troisièmes voies m'ont toujours fait sourire, mais je ne comprends pas celles dont tu parles (elle a peut-être un sens, mais je ne le capte pas). Si je dois me situer, c'est dans la première possibilité... Mais pourtant je refuse le défaitisme intégral : dans chaque révolution depuis le 19ème apparaît du nouveau et de l'inédit - tout spécialement en matière de relations hommes / femmes. Et donc nous tirons une expérience transmissible du passé.
De plus je ne dirais pas que les révolutions marchent intégralement (on le saurait) ou rate intégralement... Parce qu'avant qu'elles se terminent par un échec ou une réussite, des individu-e-s commencent déjà à vivre selon le modèle qu'ils souhaitent pour l'après révolution. Exemple dès 1917-1918 des usines sont passées en autogestion en Russie, ont balancé l'argent et ont commencé à se mettre en réseau avec des usines faisant de même, au milieu d'un chaos généralisé... Et ce sont les bolcheviques qui ont mis fin à cela, pas les méchants d'en face. Dans Land & Freedom Loach en montre aussi des exemples. Pour ne rien dire de la Commune.
Comme je l'ai raconté ailleurs je pense comme Rosa Luxembourg que l'on doit - quand bien même est-on dressé dans les idées de la domination - essayer d'appliquer dans son militantisme le modèle que l'on pense être le bon pour la société future que l'on souhaite. On ne peut pas se prétendre révolutionnaire dans le futur et défendre la prostitution aujourd'hui ; si on la défend aujourd'hui c'est qu'on fond on pense qu'elle fait partie de la société et que rien ne l'éliminera.
- AraignéeAncien⋅ne
- Messages : 4550
Date d'inscription : 02/09/2012
Je ne peux que plussoyer Phillibert (et rappeler l'excellent livre - et le film qui va avec - de Naomi Klein, La Stratégie du choc, qui montre comment le capitalisme s'impose via des révolutions ou des catastrophes).
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