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ko
Ancien⋅ne
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Houria Bouteldja sur l'intersectionnalité Empty Houria Bouteldja sur l'intersectionnalité

25.06.13 12:51
Une réflexion de Bouteldja sur la notion d'intersectionnalité, que je trouve intéressante; (qui rejoint le fil sur les stratégies de survie en patriarcat, d'ailleurs) (avec ce que je crois déceler comme une critique de Delphy en sous-texte ;-)

http://www.indigenes-republique.fr/article.php3?id_article=1850


bouteldja a écrit:
Depuis que cette notion d’articulation pénètre dans les milieux d’extrême gauche, on nous dit principalement deux choses :
Houria Bouteldja sur l'intersectionnalité Puce   « Articulez race, classe et genre, voire orientations sexuelles ! ». Comme si l’évocation de l’intersectionalité avait des pouvoirs magiques. C’est comme si la conscience des oppressions croisées combinée avec les mots pour le dire suffisaient à définir une politique et surtout à la mettre en pratique.
Houria Bouteldja sur l'intersectionnalité Puce   On nous dit aussi : « Pratiquez l’entre soi des femmes, comme l’ont fait les féministes blanches. Pratiquez la non-mixité, excluez les hommes indigènes. »
Confrontez au réel et aux luttes concrètes, ces « conseils » ne sont que de peu d’utilité même lorsqu’ils sont parfaitement sincères et bienveillants. Il suffit de voir l’engagement des femmes noires aux Etats-Unis et des femmes maghrébines en France contre les brutalités policières et contre l’inhumanité du système carcéral pour voir que des priorités sont spontanément faites par les principales concernées et que souvent elles se bornent à articuler la race...avec la race. Bien entendu, ce que je dis est un peu caricaturale car en creux, les femmes lorsqu’elles agissent contre les crimes policiers par exemple, agissent en même temps pour leurs intérêts propres de femmes et de prolétaires. Il n’est pas nécessaire pour les femmes indigènes en France d’agir en tant que féministes déclarées ou en tant qu’anticapitalistes déclarées. Elles agissent pour leur intérêt immédiat qui est toujours une imbrication en creux de leur intérêt en tant que prolétaires, de femmes et d’indigènes. Ainsi, on ne peut pas leur reprocher de négliger un combat strictement féministe qui serait un combat contre le sexisme, pour l’égalité hommes-femmes, pour l’avortement, contre les violences conjugales, quand elles sont prises à la gorge par les urgences sociales, de précarité, de chômage, de violences policières, d’éducation de leurs enfants, ou confrontées aux discriminations que subissent leurs enfants, de racisme au quotidien.




bouteldja a écrit:
Pendant le colonialisme, l’un des axes stratégiques de la politique coloniale fut justement de libérer les femmes jugées opprimées alors même que les femmes en France n’avaient pas le droit de vote. Fanon en a largement parlé dans l’an V de la révolution algérienne. Le dévoilement public des femmes a été l’une des armes privilégiées pour détruire le patriarcat des indigènes. Ainsi, ce n’est pas les femmes indigènes qui ont affaiblit le patriarcat indigènes mais les blancs, et cela fait toute la différence. Car en Europe, ce sont bien les mouvements féministes blancs qui ont attaqué leur patriarcat, pas des puissances étrangères. Cela mérite d’être souligné pour comprendre le malaise de nombre de femmes confrontées à la notion de féminisme. Cette politique est toujours en vigueur. La France post-coloniale poursuit son rêve de s’approprier le corps des femmes indigènes et de déposséder l’homme indigène, c’est-à-dire de le faire abdiquer de son seul pouvoir réel. L’homme indigène n’a aucun pouvoir : ni politique, ni économique, ni symbolique. Il ne lui reste que celui qu’il exerce sur sa famille (femmes et enfants). Dans le cadre de la bataille entre les deux patriarcats, celui blanc et dominant, celui indigène et affaiblit, les femmes ont le choix entre jouer un rôle passif et se soumettre à l’un ou à l’autre ou au contraire jouer un rôle actif et mettre en place des stratégies pour desserrer l’étau sur elles et se frayer des chemins pour la liberté. Il faut bien comprendre que la marge de manœuvre est très faible.

bouteldja a écrit:
C’est pourquoi, le deuxième conseil, qui consiste à préconiser l’entre soi des femmes est également inopérant car il suppose la volonté de créer un rapport de force des femmes contre les hommes de la communauté. La non mixité politique est efficace en milieux blanc, mais pas en milieux indigène. C’est mon avis mais bien sûr il est à débattre.


Bouteldja a écrit:Je parle donc bien ici de la non mixité politique qui se fait en toute conscience et qui a pour objectif d’exclure les hommes pour construire un pouvoir féminin. Je n’ai rien contre cette démarche dans l’absolu car je suis convaincue qu’elle est efficace dans certains contextes mais pas dans le notre. Pourquoi ? Parce que le colonialisme et le racisme, ont justement séparé les hommes et les femmes indigènes lorsqu’ils ont accusé l’homme of color d’être l’ennemi principal de la femme of color. Ce qu’il faut comprendre, c’est que nous sommes déjà séparés, déjà divisés, déjà construits comme ennemis les uns des autres et que le colonialisme a fait pénétrer dans le cœur des femmes la haine de l’homme indigène. J’ai grandi en France avec l’idée que les hommes blancs étaient supérieurs aux hommes of color, dignes de confiance, respectueux des femmes, civilisés etc. Je vous renvoie vers un article que j’ai écrit à ce sujet [2] . Puisque nous sommes déjà séparés, que peut signifier ce conseil de la non mixité ? Je réponds d’un point de vue décolonial et dans l’intérêt des femmes : « d’abord, il faut nous aimer », d’abord, il faut nous retrouver, nous réhabiliter. En un mot, il faut rétablir la confiance entre nous. C’est pourquoi, le premier axe de lutte d’un féminisme décolonial qui « articule » est de dire : solidarité avec les hommes dominés et refuser le principe de l’homme of color, comme principal ennemi.


bouteldja a écrit:L’exemple du voile est extrêmement significatif de ce point de vue et j’aimerais ici vous en proposer une lecture matérialiste : Le foulard a bien entendu une signification religieuse. Je me refuse de commenter cet aspect car je ne veux pas toucher au caractère sacré et intime des choses. Il est important de respecter les femmes qui le portent et de ne pas en faire un objet de pure curiosité. En revanche, je pense qu’il a aussi une signification sociale : Le voile islamique émerge en France après la défaite de l’antiracisme officiel, abstrait et moral dans un contexte de relégation sociale et raciale et dans un contexte ou l’idéologie dominante propose aux femmes de l’immigration de se libérer de leur famille, de leur père, frère, religion, tradition...J’analyse l’apparition du voile dans ce contexte comme une contestation absolue du patriarcat blanc et raciste. Je l’analyse comme une contre offensive redoutable du corps social indigène. Par le voile, les femmes disent aux hommes blancs, notre corps n’ai pas à votre disposition. Il n’est pas consommable par vous. Nous refusons votre invitation à la libération impérialiste. Mais il est également un compromis entre le patriarcat of color et les femmes of color. Les femmes - dont le corps est un champ de bataille - savent que les attaques du patriarcat blanc renforcent le patriarcat of color et que celui-ci réagit de manière agressive quand les femmes se soumettent au patriarcat blanc et raciste. C’est pourquoi, le voile est aussi une négociation. Le voile rassure les hommes of color. Il leur dit : nous vous respectons, nous vous aimons. Il dit ce que je formule de manière politique : « solidarité avec les hommes dominés ». Mais il a aussi un effet féministe - et c’est ce que les blancs ne comprennent pas. En rassurant les hommes, les femmes desserrent l’étau sur elles, et conquièrent des espaces de liberté. A ce stade, j’aimerais clarifier un point : la solidarité des femmes vers les hommes est à sens unique. Il n’y a pas de réciprocité.

bouteldja a écrit:
Ainsi, je ne préconise pas l’intersectionalité militante au sens où il faudrait livrer bataille simultanément à 3 ou 4 ennemis principaux du fait de l’irréductibilité des différentes oppressions et de leur simultanéité. Je préconise le droit de définir son propre agenda, ses priorités. Peut-être ces priorités vont-elles se décider sans les hommes, peut-être avec, peut-être en rupture, peut-être sous forme de négociation. Ce qui compte, ce ne sont pas les mots « féminisme », « anti-sexisme », « domination masculine », « patriarcat ». Ce qui compte, c’est le résultat. Les moyens que se donnent les femmes indigènes coincées entre les deux patriarcats.
Jezebel
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Houria Bouteldja sur l'intersectionnalité Empty Re: Houria Bouteldja sur l'intersectionnalité

25.06.13 13:14
Très intéressant, merci Ko, pour le partage.

Vu qu'elle reprend le titre d'un des derniers articles de Delphy, je pense que la critique est assez évidente (même si je n'ai toujours pas lu ce texte du coup).

Effectivement, on peut faire des parallèles avec les stratégies de survie (notamment l'explication par rapport au voile).
Ca me rappelle également le fil que j'avais ouvert sur la légitimité des voix et l'invisibilisation.

Un truc qui je dois dire "m'irrite" (mais le mot est fort) est justement ce besoin de rassurer les hommes, mais encore une fois, c'est plus l'effet miroir je pense (du fait que je mets aussi en place des stratégies pour les rassurer).

En tout cas je trouve qu'elle fait une analyse assez juste et sans complaisance.
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ko
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Houria Bouteldja sur l'intersectionnalité Empty Re: Houria Bouteldja sur l'intersectionnalité

25.06.13 13:27
Ah ah! j'avais pas en tête le dernier article de Delphy, que je n'ai toujours pas lu pour le coup, mais la notion d'ennemi principal dont elle parle et de la critique de la non mixité.
Du coup, je suppose que je vais finir par le lire, ce texte...


jezebel a écrit:Un truc qui je dois dire "m'irrite" (mais le mot est fort) est justement ce besoin de rassurer les hommes, mais encore une fois, c'est plus l'effet miroir je pense (du fait que je mets aussi en place des stratégies pour les rassurer).

Je dois dire que c'est quelque chose qui a aussi le don de m'irriter au plus haut point, surtout que ça se transforme rapidement en injonction (j'en avais lu des occurences ici même, si je me souviens bien); ceci dit, je trouve aussi intéressant le fait qu'elle mette en avant le coté contextuel qui fait que le refus  de ce type d'injonction soit corrélée à un contexte particulier (au contexte blanc, si je la comprends bien).

Ce qui est intéressant, c'est aussi le retournement de la notion de "hiérarchie/priorité des luttes";
en gros, dans les années du féminisme de la 2nde vague, on avait tendance, pour que les milieux des luttes de classe accepte les luttes féministe à dire qu'il n'y avait pas de hiérarchie des luttes(c'est à dire que la situation des femmes ne serait pas résolue avec la révolution prolétaire);
or je constate aussi que il y a un changement de discours ici; que le fait pour des personnes opprimées de choisir des priorités a un intérêt.
Je crois que les deux discours sont valables en fait; juste qu'ils prennent place dans des contextes différents.
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