Allez viens, on checke nos privilèges
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- IridaceaAncien⋅ne
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Allez viens, on checke nos privilèges
18.04.17 18:26
Je voulais ouvrir un fil pour réfléchir à un réflexe devenu courant dans certains milieux militants ou « déconstruits », qui est celui de checker ses privilèges (et qui vient du monde anglo-saxon, comme le suggère l'anglicisme). Vous savez, il s'agit de ces listes que l'on énonce pour se présenter : « je suis blanche, de classe moyenne, cishétéro, valide, etc. ».
L'idée de départ est de montrer qu'on est conscient ou consciente que notre point de vue est situé, c'est à dire que notre vision du monde dépend de la position qu'on occupe dans la société. Énoncer ces privilèges est alors un acte d'humilité : on veut montrer qu'on a conscience que ce que l'on va dire n'est pas forcément universel. Cela s'accompagne souvent de l'idée que seules les personnes concernées sont pertinentes sur un sujet donné.
Dit comme ça, on a du mal à voir le problème. Cet article note plusieurs limites à cet exercice :
Qu'en pensez-vous ? Avez-vous d'autres critiques sur ce genre d'exercice ?
L'idée de départ est de montrer qu'on est conscient ou consciente que notre point de vue est situé, c'est à dire que notre vision du monde dépend de la position qu'on occupe dans la société. Énoncer ces privilèges est alors un acte d'humilité : on veut montrer qu'on a conscience que ce que l'on va dire n'est pas forcément universel. Cela s'accompagne souvent de l'idée que seules les personnes concernées sont pertinentes sur un sujet donné.
Dit comme ça, on a du mal à voir le problème. Cet article note plusieurs limites à cet exercice :
- Énoncer ses privilèges peut faire croire que parce qu'on en a conscience, on ne risque plus de tomber dans le piège de propager l'idéologie favorable au groupe dominant auquel on appartient. Or l'auto-attribution à une catégorie n'a pas d'effet sur le discours ou la rhétorique.
- Les catégories de privilèges énoncées sont souvent des macro-catégories (race, classe socio-économique…). Deux limites : difficiles de toutes les citer, et difficile de se situer dans des catégories qui peuvent apparaître floues (est donné l'exemple de la catégorie valide/non-valide : à quel moment en fait-on partie ?).
- L'idée que seules les personnes de la catégorie X ont le droit de parler de cette catégorie, autrement dit, que l'expérience équivaut nécessairement au savoir. Haraway (l'autrice qui a proposé cette théorie du point de vue situé) rappelle que « l’expérience est un bon point de départ pour l’élaboration du savoir, [mais] elle ne constitue pas un point d’arrivée. » Et notamment, ne doit pas empêcher de produire des outils pour produire du savoir à partir de cette expérience. Le fait de dire « je suis X donc je peux parler de X », c'est ne pas voir que l'analyse (donc le détachement de sa propre condition) est nécessaire à la production de savoir. C'est aussi s'identifier complètement à sa catégorie, sans chercher à voir que les individus sont forcément multiples et morcellés.
- Définitions de certains termes techniques de l'article:
- Et si comme moi vous ignoriez ces termes utilisés dans l'article :
La fonction perlocutoire du langage, ou un acte perlocutoire, est l'effet psychologique que produit la phrase sur le récepteur
La sémiotique est l'étude des signes et de leur signification.
Qu'en pensez-vous ? Avez-vous d'autres critiques sur ce genre d'exercice ?
- TortueAncien⋅ne
- Messages : 461
Date d'inscription : 28/06/2015
Re: Allez viens, on checke nos privilèges
18.04.17 21:42
J'aime beaucoup ce passage (meme si il va me falloir le relire plusieurs fois avant de le commenter ou quoi que ce soit.)
Edit: c'est la premiere fois que j'entend le terme "checker ses privilège" meme si c'est une pratique dont je connais l'existance donc je ne suis pas super habituée a ce genre d'exercice, disons que ca fait pas partie de mes pratique quotidiennes ni de celle de mon entourage !
J'ai l'impression que ca rejoin le truc des étiquettes, de nomer, catégoriser sans questioner, de donner une identitée sans creuser sur ce que cela signifie concretement, comme une sorte d'écran de fumée. Voila pour l'instant.
3.1. Les illusions d’un sujet maître de lui-même
C’est en termes de subjectivité et de positions de sujet que j’aimerais tout d’abord analyser les énonciations je suis X. Ces énonciations, on l’a vu, visent à situer l’énonciateur·ice face à sa condition dans la société. C’est-à-dire qu’en prononçant ce type d’énoncé, on rendrait explicites ses privilèges et précisément sa position de sujet : les croyances et préjugés associés à cette position seraient donc désamorcés puisqu’au lieu d’être masqués par une énonciation non située, ils seraient précisément exhibés par la déclaration de position subjective, par le fait d’avoir « checké ses privilèges ». Énoncer sa position de sujet serait alors en même temps la défaire : dire ce que l’on est exhiberait la position de sujet et annulerait les idéologies qui pourraient se cacher dans le fil du discours – ou en tout cas pourraient en fournir le principe explicatif.
L’analyse du discours a largement traité la question de la subjectivité et de l’idéologie dans les discours. Elle nous apprend que le sujet est bien plus un effet qu’un donné, et qu’il est précisément le lieu où se concentre l’idéologie :
[nous sommes amenés] à considérer que le sujet est le support des représentations et de leurs rapports, et que la prise de position du sujet (effet-sujet) résulte de ce que nous avons appelé un décalage entre les représentations liées à des processus extérieurs les uns aux autres. Ainsi se constitue le point d’où sera pris position, « en toute liberté » – c’est-à-dire dans l’illusion constitutive du sujet – par rapport à l’inanité et au préconstruit (Paveau 2010 : 40).
Si l’on s’inscrit dans cette critique d’un sujet énonciateur plein et maître de sa parole, il devient difficile de considérer qu’exhiber sa position de sujet est autre chose qu’une illusion : cela participe en fait au renforcement de l’idéologie de l’évidence du sujet. Les énonciations de privilège semblent alors avoir un fonctionnement problématique : elles sédimentent l’idée d’un sujet maître de son discours et en contrôle sur celui-ci. Le fait que l’idéologie se cache dans le fil du discours (Pêcheux 1975) et n’est pas immédiatement donnée à voir, n’est pas annulé par ces déclarations de privilèges, mais c’est l’effet que celles-ci produisent. Les énonciations de privilège constituent alors une idéologie du sujet, sur le mode de l’auto-interpellation, c’est-à-dire que ce qui fait l’évidence d’être un sujet maître de lui-même, l’interpellation (Althusser 1970), n’est pas réalisé par autrui, mais par le sujet lui-même.
Edit: c'est la premiere fois que j'entend le terme "checker ses privilège" meme si c'est une pratique dont je connais l'existance donc je ne suis pas super habituée a ce genre d'exercice, disons que ca fait pas partie de mes pratique quotidiennes ni de celle de mon entourage !
J'ai l'impression que ca rejoin le truc des étiquettes, de nomer, catégoriser sans questioner, de donner une identitée sans creuser sur ce que cela signifie concretement, comme une sorte d'écran de fumée. Voila pour l'instant.
- InvitéInvité
Re: Allez viens, on checke nos privilèges
19.04.17 7:13
Une liste en anglais pour "checker" les privilèges.
Je la trouve intéressante parce qu'elle fait prendre conscience de certaines choses dont on ne se rend pas nécessairement pas compte que ce n'est pas "évident" pour tout le monde. Cela dit, elle met tout sur le même pied et ça me gêne.
edit : Il "calcule" de la même manière le privilège que ce qu'on a checké soit arrivé une fois ou arrive tous les jours.
Je la trouve intéressante parce qu'elle fait prendre conscience de certaines choses dont on ne se rend pas nécessairement pas compte que ce n'est pas "évident" pour tout le monde. Cela dit, elle met tout sur le même pied et ça me gêne.
edit : Il "calcule" de la même manière le privilège que ce qu'on a checké soit arrivé une fois ou arrive tous les jours.
- SkanderBleu⋅e
- Messages : 5
Date d'inscription : 08/04/2017
Re: Allez viens, on checke nos privilèges
19.04.17 9:40
Il y a aussi le problème qu'elle mélange attribut avec vécu, ce qui ne devrait pas se faire dans un tel sondage car les attributs sont largement statistiques alors que le vécu fluctue énormément d’une personne à l’autre.
- TortueAncien⋅ne
- Messages : 461
Date d'inscription : 28/06/2015
Re: Allez viens, on checke nos privilèges
19.04.17 14:55
C'est tout a fait absurde. Les question sont pleines de sous entendus qui ne tiennent pas la route. par exemple : "a t-on déja essayé de te "sauver" de ta religion" (en comprenant "religion" comme "opinion religieuse") on peut tous se retrouver un jour dans cette situation ne serait-ce que quand les témoins de jéhova viennent fraper a la porte, répondre "oui" a cette question ne nous apprend rien sur nos privilleges. De meme "gagne tu plus que tes collegue du genre opposé" on peut etre une femme et répondre oui dans certain métier, ca ne nous apprend rien non plus. Ce ne sont ue deux exemples parmis tant d'autre dans ce questionnaires
Se retrouver un jour ou l'autre dans une de ces situation ne peut etre une echelle de mesur pour le privillège ! C'est nimporte quoi !!
Se retrouver un jour ou l'autre dans une de ces situation ne peut etre une echelle de mesur pour le privillège ! C'est nimporte quoi !!
- IridaceaAncien⋅ne
- Messages : 2950
Date d'inscription : 12/05/2015
Re: Allez viens, on checke nos privilèges
19.04.17 16:54
C'est amusant parce que je pensais partager en même temps un billet de blog critique des privileges checklists, mais que je l'avais retiré de mon message pour être plus concise. Il s'agit de celui-ci, qui concerne plutôt les listes qui se concentrent sur un seul facteur de discrimination. L'autrice note que si ces listes peuvent être un bon outil pédagogique (comme le soulignait @Nurja), elle ont tendance à avoir une grille de lecture très monolithique et partielle : on a souvent l'impression qu'elles s'adressent à des personnes ne vivant absolument aucune oppression (autrement dit, pas grand monde). Enfin, elles échouent à produire une analyse du rapport de domination.
Pour en revenir à la liste donnée plus haut, ce qui est intrigant (outre le fait qu'elle est orientée vers des étudiants américains), c'est qu'elle se contente de faire la somme de toutes les cases cochées pour annoncer à la fin : voilà, vous avez tel pourcentage de privilège. Le truc, c'est que c'est un résultat très pauvre : deux personnes avec des résultats similaires vont probablement avoir des positions sociales et des vies complètement différentes. Quelle information tirer de tout ça ?
De plus, ça produit des analyses aberrantes. Par exemple, une femme hétérosexuelle, selon ce test, sera plus privilégiée qu'une femme non-hétéro parce que sa sexualité n'est pas rejetée par la société. Dans l'absolu, c'est vrai qu'elle ne vivra pas de lesbophobie ou biephobie ; mais ça passe complètement à côté du fait que les relations intimes avec les hommes ne sont pas un avantage per se pour les femmes, mais bien une façon de les dominer (à cause du devoir conjugal, l'entretien du foyer, etc.). On pourrait sans doute pondre une critique similaire pour d'autres items du test.
Pour en revenir à la liste donnée plus haut, ce qui est intrigant (outre le fait qu'elle est orientée vers des étudiants américains), c'est qu'elle se contente de faire la somme de toutes les cases cochées pour annoncer à la fin : voilà, vous avez tel pourcentage de privilège. Le truc, c'est que c'est un résultat très pauvre : deux personnes avec des résultats similaires vont probablement avoir des positions sociales et des vies complètement différentes. Quelle information tirer de tout ça ?
De plus, ça produit des analyses aberrantes. Par exemple, une femme hétérosexuelle, selon ce test, sera plus privilégiée qu'une femme non-hétéro parce que sa sexualité n'est pas rejetée par la société. Dans l'absolu, c'est vrai qu'elle ne vivra pas de lesbophobie ou biephobie ; mais ça passe complètement à côté du fait que les relations intimes avec les hommes ne sont pas un avantage per se pour les femmes, mais bien une façon de les dominer (à cause du devoir conjugal, l'entretien du foyer, etc.). On pourrait sans doute pondre une critique similaire pour d'autres items du test.
- InvitéInvité
Re: Allez viens, on checke nos privilèges
19.04.17 17:11
Je pense qu'effectivement, le pourcentage ne veut rien dire. Par contre, dans la liste d'items, ça permet de se rendre compte qu'effectivement, certaines situations peuvent être plus qu'inconfortables, surtout quand elles sont la règle.Iridacea a écrit:Pour en revenir à la liste donnée plus haut, ce qui est intrigant (outre le fait qu'elle est orientée vers des étudiants américains), c'est qu'elle se contente de faire la somme de toutes les cases cochées pour annoncer à la fin : voilà, vous avez tel pourcentage de privilège.
Bref, pour moi, son intérêt n'est pas d'avoir un chiffre (ça ne veut rien dire d'être opprimé à x%), mais d'ouvrir les yeux sur des choses auxquelles on n'avait pas nécessairement pensé.
- IridaceaAncien⋅ne
- Messages : 2950
Date d'inscription : 12/05/2015
Re: Allez viens, on checke nos privilèges
19.04.17 17:30
Ah, mais je suis d'accord pour dire que l'exercice de se dire : « tiens, telle situation existe pour tel groupe que je ne vis pas moi-même » peut être utile pour prendre conscience de certaines dynamiques qui nous sont extérieures.
Par contre, le fait que le but de l'exercice en question soit de produire un résultat chiffré m'interroge sur la démarche des concepteurs et conceptrices : on dirait qu'elles et ils considèrent les systèmes d'oppression comme un millefeuille de discriminations isolées qui s'ajoutent les unes aux autres.
Par contre, le fait que le but de l'exercice en question soit de produire un résultat chiffré m'interroge sur la démarche des concepteurs et conceptrices : on dirait qu'elles et ils considèrent les systèmes d'oppression comme un millefeuille de discriminations isolées qui s'ajoutent les unes aux autres.
- InvitéInvité
Re: Allez viens, on checke nos privilèges
19.04.17 17:52
Iridacea, je comprends maintenant le souci que tu as avec cette "checklist"
edit : je l'ai aussi, mais j'ai tellement l'habitude de devoir transformer ce que je trouve pour le rendre correct que ça devient un automatisme et que j'en oublie parfois que "l'outil" de départ était problématique.
edit : je l'ai aussi, mais j'ai tellement l'habitude de devoir transformer ce que je trouve pour le rendre correct que ça devient un automatisme et que j'en oublie parfois que "l'outil" de départ était problématique.
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