- Arrakis—
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Date d'inscription : 29/02/2012
Christine Delphy - Contraception et naturalisation des pratiques sexuelles fécondantes
29.11.12 21:26
Comme je l'avais promis dans "les Femmes de Droite", j'ai recherché le texte où Delphy évoquait la manière dont la promotion de la contraception comme "grande solution féministe suffisante" participait à la naturalisation du coït hétéro comme paradigme de la pratique sexuelle. (oui, la formule qui se la pète est volontaire, je trouvais ça marrant comme ça.
Le texte en question est un entretien, de Christine Delphy bien sûr avec Louis Astre titré : "Le patriarcat, une oppression spécifique". Je copie un bout de la réponse précédente qui concerne l'hétérosexualité, en cadeau bonus. T2 de L'Ennemi principal (ed. Syllepse) pour le texte intégral.
Hétérosexualité
"Alors je dirais que sur ce point il y a l'idée d'une prédisposition à l'hétérosexualité qu'on partage moins aujourd'hui, et qu'on devrait moins partager. Cela ne veut pas dire que l'analyse féministe du 19eme siècle soit fausse, ça veut dire qu'on peut progresser dans l'analyse. Quelles sont donc pour moi les implications de considérer les femmes et les hommes comme deux classes antagonistes ? Hé bien je pense que ça n'a pas d'implications du point de vue de la possibilité de leurs rapports sentimentaux, ni dans un sens ni dans l'autre. D'une part, comme on dit d'une façon populaire, "ça n'empêche pas les sentiments", ça n'a pas d'implication négative; d'autre part, il n'y a pas, à mon avis, de prédisposition à ce qu'il y ait des rapports sentimentaux particulièrement entre ces deux groupes, sauf à penser que les rapports hétérosexuels sont des rapports sexuels ou sentimentaux plus naturels que d'autres rapports. Cela n'a donc pas d'implication positive non plus. Donc comme je ne pose pas cette prémisse, je ne pense pas qu'il y ait une spécificité dans le rapport de classe entre les hommes et les femmes par rapport à la lutte. Alors il y a un troisième point que l'on peut voir, c'est dans quelle mesure est-ce que le fait que les gens vivent en couples hétérosexuels, d'une façon générale, est un résultat de ce rapport de classe ? On peut considérer que ce rapport amoureux est une condition de l'extorsion du travail ménager. On peut aussi considérer, d'une façon moins schématique, que ces deux choses sont corrélées de façon aléatoire : sans rapport de cause à effet; on ne peut pas dire que l'amour serait un moyen, comme ça a été considéré par certaines analyses, le moyen le plus sûr d'extorquer du travail aux femmes. On a une situation où la majorité des gens vivent en couple hétérosexuel. Et vous avez à la fois ces relations sentimentales et ces relations économiques; on peut savoir chronologiquement pour tel ou tel couple lesquelles sont premières, mais savoir lesquelles sont premières structurellement, ça je pense que c'est très difficile.
Contraception, pratiques sexuelles fécondantes
Louis Astre
Je vous arrête parce que précisément dans "L'ennemi principal" vous aviez indiqué les limites de votre approche, vous établissiez les éléments de base de l'analyse de l'exploitation de la production des femmes, et vous disiez :"il y aurait un autre travail à entreprendre, c'est l'analyse de l'autre pan de l'exploitation des femmes qui est l'exploitation de la reproduction, qui est le contrôle de leur reproduction". Depuis un moment, je me demandais si précisément dans vos considérations sur l'hétérosexualité des couples, considérée comme la normale sociale, ne se jouait pas essentiellement ce problème de la reproduction et du contrôle de la reproduction plutôt que celui de l'exploitation du travail.
Alors sur ce point, est-ce que vous avez procédé à des analyses théoriques depuis "L'ennemi principal" ou bien n'avez-vous pas mené d'investigations sur cette question du contrôle de la reproduction, la seconde grande exploitation des femmes par les hommes?
Christine Delphy
A l'époque, je ne savais pas très bien où mettre les exploitations qui n'étaient pas celles du travail, c'est-à-dire les oppressions telles que le viol, la contrainte à l'hétérosexualité, la contrainte à la reproduction, etc. C'est donc ce que je mettais sous "reproduction". Et à mon avis, faussement. Je crois à l'heure actuelle, qu'il est même très dangereux d'utiliser le terme de "reproduction". Il y a trop de jeux de mots là-dessus. On confond généralement reproduction biologique et reproduction sociale. Mettre sous le terme de "reproduction" par exemple ce qu'on appelle la sexualité, c'est déjà préjuger de ce qu'est la sexualité.
Louis Astre
Ce n'est plus la reproduction, c'est ça?
Christine Delphy
C'est préjuger de ce qu'est la sexualité, c'est-à-dire retomber dans les termes de l'idéologie dominante pour laquelle la sexualité n'est qu'un moyen pour la reproduction biologique de l'espèce. Je pense qu'il y a tout un travail qui n'a pas été fait;dans le domaine de la production et du travail, nous avons déjà les choses bien dégagées du point de vue conceptuel. En revanche, pour tout ce qui n'est pas travail, vous avez des tas de catégorisations possibles. Je constate que quand on parle du contrôle de la reproduction des femmes, il est très difficile de le faire sans faire tout un tas de présupposés y compris sur la sexualité, et que, quant à dire comment les deux s'articulent, je trouve que c'est également très difficile. Je pense que l'on n'en est pas encore là; pour expliquer pourquoi, il faudrait que je rentre dans le détail des quelques analyses qui sont faites aujourd'hui sur le contrôle de la reproduction.
Je vais vous donner un seul exemple pour essayer de vous montrer à quel point c'est difficile. Tout le monde depuis vingt ans, y compris les féministes, dit: "Avec la contraception, avec la liberté de l'avortement mais surtout avec la liberté de la contraception, maintenant enfin et au bout de cinq mille ans, la sexualité est dissociée de la reproduction".
Là-dedans, il y a deux présupposés. L'un c'est que la contraception est quelque chose de nouveau historiquement. C'est une réduction de la contraception aux nouvelles formes de contraception, à la contraception chimique, etc. Alors qu'on devrait savoir que la contraception existe en Occident depuis longtemps sous la forme qui a été étudiée par Ariès du coïtus interruptus et que les contraceptions de type mécanique se retrouvent dans de très vieilles civilisations également, en plus évidemment des possibilités de contrôle des naissances données par l'avortement et l'infanticide, etc. Mais il y a une objection plus fondamentale à l'idée que sexualité et procréations sont naturellement liées et qu'il faut un effort humain pour les dissocier. Cette objection c'est que l'on présuppose que la sexualité humaine est naturellement hétérosexuelle et naturellement d'un type fécondant. Or, bien au contraire, il faut un effort humain, un effort culturelle pour que les possibilités sexuelles des êtres humains soient canalisées vers un type de sexualité qui produit éventuellement la fécondation et la reproduction.
Il faut toute une socialisation, c'est-à-dire un apprentissage et une endoctrination*, éventuellement une coercition, qui canalisent les énergies ou potentialités sexuelles des individus des deux sexes vers une seule forme de rapport qui est le rapport hétérosexuel de type coïtal : c'est le seul qui produise de la reproduction, c'est-à-dire qui associe sexualité et reproduction, mais il n'est pas plus naturel que les dizaines d'autres formes de satisfactions sexuelles qui sont interdites ou considérées comme déviantes dans notre culture (et dans beaucoup d'autres cultures : mais toutes les cultures connues -qui représentent un nombre infini des cultures ayant existé- sont patriarcales, ont une forme ou une autre de domination masculine).
Louis Astre
Je voudrais revenir sur l'idée que le développement des techniques modernes de la contraception ne soit pas nécessairement un vecteur de libération sexuelle.
Christine Delphy
Non, je n'ai pas dit ça. Je n'ai pas dit que ce n'était pas un vecteur de libération sexuelle. Ce que j'essaie de dire, c'est qu'on fait comme si sexualité et reproduction étaient unies par la nature. Or elles ne le sont pas, pas dans l'espèce humaine. Sexualité et reproduction sont liées dans les espèces animales, mais ne sont pas liées par la nature dans l'espèce humaine, au contraire il faut un effort humain, un effort de la culture pour arriver à les lier si intimement, il faut réduire tous les rapports sexuels possibles naturellement au seul accepté culturellement et appelé le rapport sexuel.
Louis Astre
Ce qui me parait quand même nouveau aujourd'hui, c'est la généralisation des pratiques contraceptives. C'est une pratique qui tend à se généraliser à l'échelle des masses et c'est là une différence par rapport à ce qui se passait dans les siècles antérieurs.
Deuxièmement, et surtout, cette généralisation même banalise l'idée de la contraception et donc contribue à séparer l'idée de l'activité sexuelle de celle de la reproduction. Et en ce sens, c'est véritablement un vecteur de libération sexuelle.
Christine Delphy
La société sépare dans un deuxième temps ce qu'elle a uni dans un premier temps et qui n'est pas nécessairement uni. On commence par faire en sorte que les possibilités d'activité sexuelle, qui sont multiples, de chaque être humain, soient dirigées vers une seule sorte de rapport; on interdit toutes autres formes de rapports, l'homosexualité, l'autoérotisme, mais aussi tous les rapports hétérosexuels non coïtaux ; on canalise tout vers cette forme de sexualité qui est la seule fécondante. Ensuite, et c'est assez drôle, on s'en plaint. Et il faut avoir recours à la contraception d'une façon massive; mais uniquement parce que ce rapport très particulier qu'est le coït bénéficie d'une couverture médiatique et d'une publicité massives également.
Louis Astre
Mais les interdits dont vous parlez tendent quand même aujourd'hui de façon concomitante à s'atténuer.
Christine Delphy
De cela je suis beaucoup moins sûre, je pense qu'on assiste plutôt à une généralisation de l'hétérosexualité; il ne faut pas oublier que l'exercice de la sexualité même de type hétérosexuel était à la fin du 19eme siècle pas du tout garanti pour environ un tiers de la population puisqu'il y avait des tas de gens qui restaient célibataires et, la sexualité étant interdite en dehors du mariage ou étant rendue très difficile, n'avaient pas accès de façon régulière ou garantie à la sexualité. Or depuis le 19e siècle, les gens qui étaient interdits de mariage, c'est-à-dire surtout les domestiques qui étaient très nombreux, les cadets et les cadettes qui ne pouvaient pas se marier dans la civilisation rurale (or, à la fin du 19e siècle, neuf personnes sur dix étaient dans l'agriculture), c'est personnes là se marient. En somme, ce qui s'est passé, c'est qu'il y a eu une démocratisation du mariage ou du concubinage, bref de la cohabitation avec rapports sexuels. C'est-à-dire que le droit à vivre en couple est maintenant devenu un des droits fondamentaux, et vivre en couples implique aussi l'exercice de la sexualité de type hétérosexuel. D'une façon qui coïncide dans le temps, on assiste aussi à certaines remises en cause de cette norme. Mais il faut voir que les remises en cause de cette norme vont de pair avec la généralisation sur le plan statistique de cette norme.
*oui à la féminisation de "un endoctrinement"! (note d'Arrakis)
Le texte en question est un entretien, de Christine Delphy bien sûr avec Louis Astre titré : "Le patriarcat, une oppression spécifique". Je copie un bout de la réponse précédente qui concerne l'hétérosexualité, en cadeau bonus. T2 de L'Ennemi principal (ed. Syllepse) pour le texte intégral.
Hétérosexualité
"Alors je dirais que sur ce point il y a l'idée d'une prédisposition à l'hétérosexualité qu'on partage moins aujourd'hui, et qu'on devrait moins partager. Cela ne veut pas dire que l'analyse féministe du 19eme siècle soit fausse, ça veut dire qu'on peut progresser dans l'analyse. Quelles sont donc pour moi les implications de considérer les femmes et les hommes comme deux classes antagonistes ? Hé bien je pense que ça n'a pas d'implications du point de vue de la possibilité de leurs rapports sentimentaux, ni dans un sens ni dans l'autre. D'une part, comme on dit d'une façon populaire, "ça n'empêche pas les sentiments", ça n'a pas d'implication négative; d'autre part, il n'y a pas, à mon avis, de prédisposition à ce qu'il y ait des rapports sentimentaux particulièrement entre ces deux groupes, sauf à penser que les rapports hétérosexuels sont des rapports sexuels ou sentimentaux plus naturels que d'autres rapports. Cela n'a donc pas d'implication positive non plus. Donc comme je ne pose pas cette prémisse, je ne pense pas qu'il y ait une spécificité dans le rapport de classe entre les hommes et les femmes par rapport à la lutte. Alors il y a un troisième point que l'on peut voir, c'est dans quelle mesure est-ce que le fait que les gens vivent en couples hétérosexuels, d'une façon générale, est un résultat de ce rapport de classe ? On peut considérer que ce rapport amoureux est une condition de l'extorsion du travail ménager. On peut aussi considérer, d'une façon moins schématique, que ces deux choses sont corrélées de façon aléatoire : sans rapport de cause à effet; on ne peut pas dire que l'amour serait un moyen, comme ça a été considéré par certaines analyses, le moyen le plus sûr d'extorquer du travail aux femmes. On a une situation où la majorité des gens vivent en couple hétérosexuel. Et vous avez à la fois ces relations sentimentales et ces relations économiques; on peut savoir chronologiquement pour tel ou tel couple lesquelles sont premières, mais savoir lesquelles sont premières structurellement, ça je pense que c'est très difficile.
Contraception, pratiques sexuelles fécondantes
Louis Astre
Je vous arrête parce que précisément dans "L'ennemi principal" vous aviez indiqué les limites de votre approche, vous établissiez les éléments de base de l'analyse de l'exploitation de la production des femmes, et vous disiez :"il y aurait un autre travail à entreprendre, c'est l'analyse de l'autre pan de l'exploitation des femmes qui est l'exploitation de la reproduction, qui est le contrôle de leur reproduction". Depuis un moment, je me demandais si précisément dans vos considérations sur l'hétérosexualité des couples, considérée comme la normale sociale, ne se jouait pas essentiellement ce problème de la reproduction et du contrôle de la reproduction plutôt que celui de l'exploitation du travail.
Alors sur ce point, est-ce que vous avez procédé à des analyses théoriques depuis "L'ennemi principal" ou bien n'avez-vous pas mené d'investigations sur cette question du contrôle de la reproduction, la seconde grande exploitation des femmes par les hommes?
Christine Delphy
A l'époque, je ne savais pas très bien où mettre les exploitations qui n'étaient pas celles du travail, c'est-à-dire les oppressions telles que le viol, la contrainte à l'hétérosexualité, la contrainte à la reproduction, etc. C'est donc ce que je mettais sous "reproduction". Et à mon avis, faussement. Je crois à l'heure actuelle, qu'il est même très dangereux d'utiliser le terme de "reproduction". Il y a trop de jeux de mots là-dessus. On confond généralement reproduction biologique et reproduction sociale. Mettre sous le terme de "reproduction" par exemple ce qu'on appelle la sexualité, c'est déjà préjuger de ce qu'est la sexualité.
Louis Astre
Ce n'est plus la reproduction, c'est ça?
Christine Delphy
C'est préjuger de ce qu'est la sexualité, c'est-à-dire retomber dans les termes de l'idéologie dominante pour laquelle la sexualité n'est qu'un moyen pour la reproduction biologique de l'espèce. Je pense qu'il y a tout un travail qui n'a pas été fait;dans le domaine de la production et du travail, nous avons déjà les choses bien dégagées du point de vue conceptuel. En revanche, pour tout ce qui n'est pas travail, vous avez des tas de catégorisations possibles. Je constate que quand on parle du contrôle de la reproduction des femmes, il est très difficile de le faire sans faire tout un tas de présupposés y compris sur la sexualité, et que, quant à dire comment les deux s'articulent, je trouve que c'est également très difficile. Je pense que l'on n'en est pas encore là; pour expliquer pourquoi, il faudrait que je rentre dans le détail des quelques analyses qui sont faites aujourd'hui sur le contrôle de la reproduction.
Je vais vous donner un seul exemple pour essayer de vous montrer à quel point c'est difficile. Tout le monde depuis vingt ans, y compris les féministes, dit: "Avec la contraception, avec la liberté de l'avortement mais surtout avec la liberté de la contraception, maintenant enfin et au bout de cinq mille ans, la sexualité est dissociée de la reproduction".
Là-dedans, il y a deux présupposés. L'un c'est que la contraception est quelque chose de nouveau historiquement. C'est une réduction de la contraception aux nouvelles formes de contraception, à la contraception chimique, etc. Alors qu'on devrait savoir que la contraception existe en Occident depuis longtemps sous la forme qui a été étudiée par Ariès du coïtus interruptus et que les contraceptions de type mécanique se retrouvent dans de très vieilles civilisations également, en plus évidemment des possibilités de contrôle des naissances données par l'avortement et l'infanticide, etc. Mais il y a une objection plus fondamentale à l'idée que sexualité et procréations sont naturellement liées et qu'il faut un effort humain pour les dissocier. Cette objection c'est que l'on présuppose que la sexualité humaine est naturellement hétérosexuelle et naturellement d'un type fécondant. Or, bien au contraire, il faut un effort humain, un effort culturelle pour que les possibilités sexuelles des êtres humains soient canalisées vers un type de sexualité qui produit éventuellement la fécondation et la reproduction.
Il faut toute une socialisation, c'est-à-dire un apprentissage et une endoctrination*, éventuellement une coercition, qui canalisent les énergies ou potentialités sexuelles des individus des deux sexes vers une seule forme de rapport qui est le rapport hétérosexuel de type coïtal : c'est le seul qui produise de la reproduction, c'est-à-dire qui associe sexualité et reproduction, mais il n'est pas plus naturel que les dizaines d'autres formes de satisfactions sexuelles qui sont interdites ou considérées comme déviantes dans notre culture (et dans beaucoup d'autres cultures : mais toutes les cultures connues -qui représentent un nombre infini des cultures ayant existé- sont patriarcales, ont une forme ou une autre de domination masculine).
Louis Astre
Je voudrais revenir sur l'idée que le développement des techniques modernes de la contraception ne soit pas nécessairement un vecteur de libération sexuelle.
Christine Delphy
Non, je n'ai pas dit ça. Je n'ai pas dit que ce n'était pas un vecteur de libération sexuelle. Ce que j'essaie de dire, c'est qu'on fait comme si sexualité et reproduction étaient unies par la nature. Or elles ne le sont pas, pas dans l'espèce humaine. Sexualité et reproduction sont liées dans les espèces animales, mais ne sont pas liées par la nature dans l'espèce humaine, au contraire il faut un effort humain, un effort de la culture pour arriver à les lier si intimement, il faut réduire tous les rapports sexuels possibles naturellement au seul accepté culturellement et appelé le rapport sexuel.
Louis Astre
Ce qui me parait quand même nouveau aujourd'hui, c'est la généralisation des pratiques contraceptives. C'est une pratique qui tend à se généraliser à l'échelle des masses et c'est là une différence par rapport à ce qui se passait dans les siècles antérieurs.
Deuxièmement, et surtout, cette généralisation même banalise l'idée de la contraception et donc contribue à séparer l'idée de l'activité sexuelle de celle de la reproduction. Et en ce sens, c'est véritablement un vecteur de libération sexuelle.
Christine Delphy
La société sépare dans un deuxième temps ce qu'elle a uni dans un premier temps et qui n'est pas nécessairement uni. On commence par faire en sorte que les possibilités d'activité sexuelle, qui sont multiples, de chaque être humain, soient dirigées vers une seule sorte de rapport; on interdit toutes autres formes de rapports, l'homosexualité, l'autoérotisme, mais aussi tous les rapports hétérosexuels non coïtaux ; on canalise tout vers cette forme de sexualité qui est la seule fécondante. Ensuite, et c'est assez drôle, on s'en plaint. Et il faut avoir recours à la contraception d'une façon massive; mais uniquement parce que ce rapport très particulier qu'est le coït bénéficie d'une couverture médiatique et d'une publicité massives également.
Louis Astre
Mais les interdits dont vous parlez tendent quand même aujourd'hui de façon concomitante à s'atténuer.
Christine Delphy
De cela je suis beaucoup moins sûre, je pense qu'on assiste plutôt à une généralisation de l'hétérosexualité; il ne faut pas oublier que l'exercice de la sexualité même de type hétérosexuel était à la fin du 19eme siècle pas du tout garanti pour environ un tiers de la population puisqu'il y avait des tas de gens qui restaient célibataires et, la sexualité étant interdite en dehors du mariage ou étant rendue très difficile, n'avaient pas accès de façon régulière ou garantie à la sexualité. Or depuis le 19e siècle, les gens qui étaient interdits de mariage, c'est-à-dire surtout les domestiques qui étaient très nombreux, les cadets et les cadettes qui ne pouvaient pas se marier dans la civilisation rurale (or, à la fin du 19e siècle, neuf personnes sur dix étaient dans l'agriculture), c'est personnes là se marient. En somme, ce qui s'est passé, c'est qu'il y a eu une démocratisation du mariage ou du concubinage, bref de la cohabitation avec rapports sexuels. C'est-à-dire que le droit à vivre en couple est maintenant devenu un des droits fondamentaux, et vivre en couples implique aussi l'exercice de la sexualité de type hétérosexuel. D'une façon qui coïncide dans le temps, on assiste aussi à certaines remises en cause de cette norme. Mais il faut voir que les remises en cause de cette norme vont de pair avec la généralisation sur le plan statistique de cette norme.
*oui à la féminisation de "un endoctrinement"! (note d'Arrakis)
- InvitéInvité
Re: Christine Delphy - Contraception et naturalisation des pratiques sexuelles fécondantes
30.11.12 12:01
Cimer !
- koAncien⋅ne
- Messages : 2496
Date d'inscription : 31/10/2011
Re: Christine Delphy - Contraception et naturalisation des pratiques sexuelles fécondantes
30.11.12 12:22
Merci!
Texte comme d'hab, avec Delphy, très intéressant. A noter que Paola Tabet, dans La construction sociale de l'inégalité des sexes, chapitre fertilité naturelle, reproduction forcée, analyse aussi l'injonction au coït hétéro avec éjaculation du pénis dans le vagin comme pratique de masse.
Dont ce passage, qui m'a marqué (qui me fait penser: de quand date ce texte de Delphy? Ce chapitre de Tabet date de 1984):
Texte comme d'hab, avec Delphy, très intéressant. A noter que Paola Tabet, dans La construction sociale de l'inégalité des sexes, chapitre fertilité naturelle, reproduction forcée, analyse aussi l'injonction au coït hétéro avec éjaculation du pénis dans le vagin comme pratique de masse.
Dont ce passage, qui m'a marqué (qui me fait penser: de quand date ce texte de Delphy? Ce chapitre de Tabet date de 1984):
"Il faut rappeler brièvement certaines données biologiques de la reproduction humains. L'espèce humaine est une espèce relativement infertile. Un exemple: une seule insémination artificielle chez la vache a 75% de probabilité d'être efficace; pour les femmes, par contre, il faut prévoir 3 à 4 cycles avec 3 inséminations chacun (réalisés en période fertile bien sûr). Pour l'espèce humaine, les probabilités de concevoir avec un seul coït sont donc limitées: statistiquement, il ne suffit pas d'un seul rapport sexuel pour produire une grossesse."
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