Sur une oppression qui n'a pas de nom
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michekhen
takamine
Gambara
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- GambaraBanni·e
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Date d'inscription : 24/07/2015
Sur une oppression qui n'a pas de nom
21.08.15 15:55
J'ai lu récemment "T'as vu le monsieur?" un livre-témoignage de Jérome Hamon, le premier greffé total de face qui a vécu pendant plus de 30ans avec la neurofibromatose, une maladie qui déforme les traits du visage. Cette lecture m'a confirmé une réflexion que je m'étais toujours faite sur la façon dont sont traités les personnes au visage hors norme dans la société. Ils sont perçus comme les Autres (au même titre que les femmes, les non-blancs, les non valides etc) et sont maltraités par la société, pourtant ils ne disposent d'aucun porte parole, d'aucune tribune pour défendre leur cause. C'est un tabou des plus total. Aussi, cela est peut etre du au fait que la laideur extreme ou la difformité physique soit êxtrement rare.
Ci après des extraits choisis du livre:
''Qu'est-ce qui t'est arrivé?"
"- Qu'est-ce qui t'est arrivé?Les premières questions directes commencent à l'école maternelle. Un camarade regarde fixement mon oeil et me demande soudain: "qu'est ce qui t'es arrivé?"Terrible par sa simplicité, cette question me remplit d'effroi. Je ne sais pas quoi répondre, je ne sais pas ce qui s'est passé. Je comprends juste que je ne suis pas comme les autres puisqu'on me pose la question. Quelqu'un qui a un physique normal, on ne lui demande pas: "Pourquoi tu es normal?"
"T'as vu le monsieur?"
"Le seul mot qui me vient à l'esprit pour évoquer tous ces regards posés sur moi, c'est celui de la cruauté. La cruauté à mon encontre et cette infinie tristesse de me trouver sans cesse renvoyé à mon état. Car même lorsque je ne pense pas à mon visage, car je n'y pense pas tout le temps, le regard de l'autre m'y renvois sans cesse. Sans répit.Et ce regard me juge."
"La photo de classe"
"Les exposés oraux sont pour moi une véritable torture. Debout devant la classe, j'ai l'impression de devenir tout rouge. Ce n'est pas le cas, mais être soudain le centre de toutes les attentions m'éprouve plus durement que les autres."
"Très vite, par précaution, je me refuse à faire partie du groupe. Je cherche l'amitié, j'en guette tous les signes, mais, en collectivité, je reste silencieux. Incapable de la mettre en mots, je cache aux autres l'attente que j'ai d'eux. Ma peur du rejet, ou de l'hypocrisie, est telle que je ne me met jamais en avant. Je laisse l'autre venir à moi. Si cela se produit, j'en déduit qu'on me trouve sympa, qu'on m'apprécie pour ce que je suis, au-delà de mon visage, et je vis cela comme une victoire. Mais je ne fais plus jamais le premier pas."
"Elephant man"
"Lorsque quelqu'un, ma mère essentiellement, avance la main vers mon visage, j'ai toujours un mouvement de recul. Ce n'est pas tant le contact qui me gêne ue cette opposition me sautant aux yeux entre la douceur, la tendresse d'un geste et la disgrâce de mon visage. Je ne comprends pas qu'on puisse avoir envie de caresser mon visage déformé. Ce geste qui mêle la beauté à la laideur porte en lui quelque chose d'inconcevable, de totalement incongru à mes yeux."
"Le troisième oeuil"
Dès mon arrivée à Paris, je m'élance dans les rues, confiant. Je me dis que, dans une grande ville, je vais pouvoir me fondre dans la foule. On ne me remarquera pas, les Parisiens sont habitués à voir de tout. Enfin, je vais pouvoir respirer un peu.
Ma déception de porte pas de nom. Regards appuyés, moqueries, insultes... Encore plus de monde autour de moi à me dévisager avec dans les yeux ce même effroi, ce même voyeurisme multiplié par cent, par mille. On me montre, on me désigne, on rit de moi. Rien n'a changé.
"Pétage de plombs"
"Longtemps j'ai eu peur de céder à la violence. Et de devenir peut être un visage où certains ne liraient plus "rien que de monstrueux", comme disait le procureur de Meursault dans l'Etranger. J'étais conscient qu'à force d'encaisser les regards et les insultes sans rien dire, je craquerais un jour.Ce que je craignais le plus, c'était de basculer dans la violence non pas envers moi mais envers l'autre.Quelqu'un, un jour, me dirait une méchanceté qui ferait déborder le vase et il allait payer pour tous les autres. Je serrais les poings pour ne pas répondre aux agressions car je sentais que si le trop-plein explosait, j'allais me jeter sur la personne. Et que si je "pétais les plombs", il faudrait m'arrêter. Ce serait la fin de tout, une folie dramatique qui pouvait envoyer mon agresseur à l'hôpital et moi, en psychiatrie."
"Le deuxième jour de ma nouvelle vie"'''
"Chez les commerçants qui ne m'ont jamais vu, je suis désormais un client comme les autres. Je ne sens plus cette gêne d'une demi-seconde au moment de me servir qui existait toujours auparavant lorsqu'ils levaient les yeux sur moi. C'est anodin pour ceux qui n'ont jamais subi ça, mais la disparition de ces microsignes incessants transforme radicalement mon quotidien et ma vie."
"La nuit où j'ai changé de visage"
"Je n'avais plus visage humain.Je n'avais plus ce visage dans lequel chacun se distingue, comme individu doté d'une identité, mais où il se reconnaît aussi comme étant le même que l'autre, comme appartenant à un même groupe. Un visage tout à la fois différent de tous les hommes et ressemblant à tous les humains, qui permet d'entrer en contact, en communication avec l'autre.Sans la greffe, mes déformations auraient bientôt englouti toute ressemblance à l'autre sur mon visage et je serais vite devenu imprésentable devant les humains.Coupé de la communauté humaine. Exclu à vie.En état de mort sociale."
Ci après des extraits choisis du livre:
''Qu'est-ce qui t'est arrivé?"
"- Qu'est-ce qui t'est arrivé?Les premières questions directes commencent à l'école maternelle. Un camarade regarde fixement mon oeil et me demande soudain: "qu'est ce qui t'es arrivé?"Terrible par sa simplicité, cette question me remplit d'effroi. Je ne sais pas quoi répondre, je ne sais pas ce qui s'est passé. Je comprends juste que je ne suis pas comme les autres puisqu'on me pose la question. Quelqu'un qui a un physique normal, on ne lui demande pas: "Pourquoi tu es normal?"
"T'as vu le monsieur?"
"Le seul mot qui me vient à l'esprit pour évoquer tous ces regards posés sur moi, c'est celui de la cruauté. La cruauté à mon encontre et cette infinie tristesse de me trouver sans cesse renvoyé à mon état. Car même lorsque je ne pense pas à mon visage, car je n'y pense pas tout le temps, le regard de l'autre m'y renvois sans cesse. Sans répit.Et ce regard me juge."
"La photo de classe"
"Les exposés oraux sont pour moi une véritable torture. Debout devant la classe, j'ai l'impression de devenir tout rouge. Ce n'est pas le cas, mais être soudain le centre de toutes les attentions m'éprouve plus durement que les autres."
"Très vite, par précaution, je me refuse à faire partie du groupe. Je cherche l'amitié, j'en guette tous les signes, mais, en collectivité, je reste silencieux. Incapable de la mettre en mots, je cache aux autres l'attente que j'ai d'eux. Ma peur du rejet, ou de l'hypocrisie, est telle que je ne me met jamais en avant. Je laisse l'autre venir à moi. Si cela se produit, j'en déduit qu'on me trouve sympa, qu'on m'apprécie pour ce que je suis, au-delà de mon visage, et je vis cela comme une victoire. Mais je ne fais plus jamais le premier pas."
"Elephant man"
"Lorsque quelqu'un, ma mère essentiellement, avance la main vers mon visage, j'ai toujours un mouvement de recul. Ce n'est pas tant le contact qui me gêne ue cette opposition me sautant aux yeux entre la douceur, la tendresse d'un geste et la disgrâce de mon visage. Je ne comprends pas qu'on puisse avoir envie de caresser mon visage déformé. Ce geste qui mêle la beauté à la laideur porte en lui quelque chose d'inconcevable, de totalement incongru à mes yeux."
"Le troisième oeuil"
Dès mon arrivée à Paris, je m'élance dans les rues, confiant. Je me dis que, dans une grande ville, je vais pouvoir me fondre dans la foule. On ne me remarquera pas, les Parisiens sont habitués à voir de tout. Enfin, je vais pouvoir respirer un peu.
Ma déception de porte pas de nom. Regards appuyés, moqueries, insultes... Encore plus de monde autour de moi à me dévisager avec dans les yeux ce même effroi, ce même voyeurisme multiplié par cent, par mille. On me montre, on me désigne, on rit de moi. Rien n'a changé.
"Pétage de plombs"
"Longtemps j'ai eu peur de céder à la violence. Et de devenir peut être un visage où certains ne liraient plus "rien que de monstrueux", comme disait le procureur de Meursault dans l'Etranger. J'étais conscient qu'à force d'encaisser les regards et les insultes sans rien dire, je craquerais un jour.Ce que je craignais le plus, c'était de basculer dans la violence non pas envers moi mais envers l'autre.Quelqu'un, un jour, me dirait une méchanceté qui ferait déborder le vase et il allait payer pour tous les autres. Je serrais les poings pour ne pas répondre aux agressions car je sentais que si le trop-plein explosait, j'allais me jeter sur la personne. Et que si je "pétais les plombs", il faudrait m'arrêter. Ce serait la fin de tout, une folie dramatique qui pouvait envoyer mon agresseur à l'hôpital et moi, en psychiatrie."
"Le deuxième jour de ma nouvelle vie"'''
"Chez les commerçants qui ne m'ont jamais vu, je suis désormais un client comme les autres. Je ne sens plus cette gêne d'une demi-seconde au moment de me servir qui existait toujours auparavant lorsqu'ils levaient les yeux sur moi. C'est anodin pour ceux qui n'ont jamais subi ça, mais la disparition de ces microsignes incessants transforme radicalement mon quotidien et ma vie."
"La nuit où j'ai changé de visage"
"Je n'avais plus visage humain.Je n'avais plus ce visage dans lequel chacun se distingue, comme individu doté d'une identité, mais où il se reconnaît aussi comme étant le même que l'autre, comme appartenant à un même groupe. Un visage tout à la fois différent de tous les hommes et ressemblant à tous les humains, qui permet d'entrer en contact, en communication avec l'autre.Sans la greffe, mes déformations auraient bientôt englouti toute ressemblance à l'autre sur mon visage et je serais vite devenu imprésentable devant les humains.Coupé de la communauté humaine. Exclu à vie.En état de mort sociale."
- takamineBleu⋅e
- Messages : 111
Date d'inscription : 12/07/2015
Re: Sur une oppression qui n'a pas de nom
29.08.15 12:51
...
- michekhenAncien⋅ne
- Messages : 735
Date d'inscription : 02/09/2013
Re: Sur une oppression qui n'a pas de nom
01.09.15 7:57
Terrible ce témoignage.
et en même temps je sais très bien , que face à la différence j'ai beaucoup de mal à ne pas regarder.
Je me force à ne pas regarder, et même ça, je suis sûre que c'est perçu par la personne en question.
tellement elle à l'habitude de se faire observer. Je m'en veux très fort à ce moment, car je suppose que je blesse la personne en la regardant, et en même temps me forcer à l'ignorer fait sûrement autant mal.
et en même temps je sais très bien , que face à la différence j'ai beaucoup de mal à ne pas regarder.
Je me force à ne pas regarder, et même ça, je suis sûre que c'est perçu par la personne en question.
tellement elle à l'habitude de se faire observer. Je m'en veux très fort à ce moment, car je suppose que je blesse la personne en la regardant, et en même temps me forcer à l'ignorer fait sûrement autant mal.
- Alpheratz—
- Messages : 145
Date d'inscription : 28/06/2015
Re: Sur une oppression qui n'a pas de nom
06.09.15 19:58
"Je ne comprends pas qu'on puisse avoir envie de caresser mon visage déformé."
"On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux."
Saint-Exupéry "Le Petit prince"
"On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux."
Saint-Exupéry "Le Petit prince"
- 1977Ancien⋅ne
- Messages : 1411
Date d'inscription : 03/11/2012
Re: Sur une oppression qui n'a pas de nom
06.09.15 20:20
Je trouve terrible de subir une violence qui n'est pas reconnue, invisible. C'est la double peine. Et cette violence décrite par Oile est pourtant bien réelle.
- LenaLouAncien⋅ne
- Messages : 1093
Date d'inscription : 19/11/2013
Re: Sur une oppression qui n'a pas de nom
07.09.15 12:05
Justement,je me suis toujours énormément questionnée sur l'aphrodisme et sur les violences subies par les personnes perçues comme socialement "laides"...
Je trouve ces violences ultra répandues,et banalisées,même parmi des personnes sensibilisées aux discriminations voire militantes...
Je trouve ces violences ultra répandues,et banalisées,même parmi des personnes sensibilisées aux discriminations voire militantes...
- AëlloonAncien⋅ne
- Messages : 1814
Date d'inscription : 01/04/2014
Re: Sur une oppression qui n'a pas de nom
30.04.16 21:52
C'est vrai.LenaLou a écrit:Je trouve ces violences ultra répandues,et banalisées,même parmi des personnes sensibilisées aux discriminations voire militantes...
Après, regarder ou ne pas regarder, et regarder comment ?
Pas évident de se défaire de ses réflexes: même quand on n'a pas de mouvement de recul, notre regard reste un miroir extrêmement difficile à contrôler et en une fraction de seconde, la personne en face comprend très bien ce que nous ressentons à son égard.
Le groupe sud-africain Die Andwoort a créé un morceau qui s'appelle "I fink you're freeky and I like you a lot"
(que j'aime beaucoup) qui signifie en gros "Je pense que tu es bizarre et je t'aime beaucoup" dédié aux personnes stigmatisées par les canons de beauté en vigueur.
Ils ont également fait jouer Leon Botha, un artiste atteint de progéria, une maladie génétique dégénérative diagnostiquée alors qu'il avait 4 ans et provoquant un vieillissement accéléré, il est décédé le 5 juin 2011.
(voir le plan final du clip "Enter The Ninja")
Son visage déformé par la maladie lui a imposé un véritable calvaire, même si à la fin de sa vie il a pu accéder à la reconnaissance grâce notamment à Die Andwoort et à Thierry Mugler.
Lien Leon Botha.
(désolée pour vous avoir refilé un lien vers Pure People, mais c'est ce que j'ai trouvé en premier... )
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