- KappaBleu⋅e
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Date d'inscription : 01/03/2013
Avis de Despentes sur Iacub
01.03.13 17:17
Voilà un article que j'apprécie , il sort du lot de toutes les critiques de Belle et Bête
http://www.lemonde.fr/livres/article/2013/02/28/dur-a-avaler_1840171_3260.html
Dur à avaler
LE MONDE DES LIVRES | 28.02.2013 à 16h06
Par Virginie Despentes, écrivain
Qu'il y ait des meufs dans le 6earrondissement de Paris qui s'agitent volontiers sur les queues qui peuvent leur rapporter de l'argent : rien de neuf. S'il ne s'agissait que de désir, elles sortiraient de leur quartier. Qu'on vienne demander encore un effort aux citoyens, la classe moyenne aura bien quelques euros à débourser pour l'Obs, pour Libé et pour Stock - le gogo, on le sait, s'attrape bien par la libido : rien de neuf. On ne donne jamais assez aux riches. La sensation pénible d'assister à la débâcle d'une cour en folie, toujours rien de neuf. L'ironie du sort, qui veut que l'homme mis en scène soit celui qui dirigea longtemps l'organisation qui a orchestré la dette, ce trait qu'on veut tirer sur toute utopie en hypothéquant nos futurs, n'a rien de neuf non plus.
Du côté de l'Obs, rien de bien neuf non plus, cette gauche-là tutoie les sommets. Et quand Joffrin consacre la "une" de son journal au livre de Iacub, ce n'est pas qu'il vient de découvrir les vertus de la presse façon Closer, c'est la littérature qui l'appelle. Il s'explique dans son petit édito : "Les qualités littéraires du livre étaient indiscutables." Joffrin, on ne savait pas qu'il avait la faculté de trier ce qui entre en bibliothèque de ce qui part à la poubelle. On devrait faire appel à lui plus souvent, on s'épargnerait un tas de discussions oiseuses.
La littérature, pas la peine de s'en faire pour elle, en a vu d'autres, elle a toujours aussi servi les intérêts des boutiquiers et, si elle doit continuer d'avoir un sens, elle s'en remettra. Puisque le propre de la littérature, justement, est de prendre avec le temps une force que les plus calamiteuses entreprises de négoce ne devraient pouvoir saccager.
GARDES-CHIOURMES
Un parallèle, cependant, m'intrigue : qu'on se souvienne du silence pour le moins poli qui suivit quasi unanimement la publication du texte de Tristane Banon Le Bal des hypocrites (Au Diable Vauvert, 2011). A cette époque, les critiques littéraires se drapaient dans la dignité la plus offensée : ah non, ça, ce n'était pas de la littérature. Elle, ils l'ont vue venir et ils nous ont prévenus : voyeurisme, volonté pathétique de faire parler d'elle, petit texte sans importance. Les gardes-chiourmes étaient là, la pudeur brandie en bandoulière, pour s'assurer que la jeune auteure ne tirerait aucun bénéfice critique de son entreprise d'écriture. Mais, quand il s'agit des errements érotico-neuneus d'une bourgeoise mollement masochiste, on fait le tour des plateaux télé pour ameuter le chaland. Quand je lis dans Libé, sous la plume de Lançon, que Iacub, c'est un peu Sade qui rencontre Guibert, je demande quand même à ce qu'on m'explique pourquoi Banon n'a été pour personne Bret Easton Ellis qui rencontrait Joan Didion. Son texte à elle posait pourtant quelques questions intéressantes.
Par exemple, ce refus atypique du droit de cuissage, cette histoire de petite fille qui se débat quand on veut la prendre de force. Qui non seulement se sauve, mais encore décide de ne pas se taire, contre les conseils avisés de son milieu. Il y avait une petite transgression, là-dedans, un joli refus de se laisser faire, par deux fois. Ce courage-là, hors de question de le saluer. Banon, c'était le texte anecdotique d'une pauvre fille. Alors pourquoi Iacub est l'égérie féministe de la presse de gauche d'aujourd'hui ? De l'oeuvre de Iacub, on avait peine à retenir grand-chose, jusqu'alors, si ce n'est une obsession du genre : le viol ne serait qu'une vue de l'esprit, une confusion mentale, une soumission à la propagande féministe.
On sait que, vu du côté des hommes, les auteures ne sont jamais aussi intéressantes que quand elles décrivent ce qui leur passe entre les cuisses. On découvre aujourd'hui que c'est encore mieux si elles se soumettent aux diktats patriarcaux les plus éculés. Tant il est vrai que, vu d'une certaine gauche, qualifier l'immigrée de laide et de vulgaire, on ne s'en lassera jamais. Comme rappeler qu'une femme de pouvoir, telle Sinclair, émascule toujours l'homme qu'elle épouse. La gauche, elle aussi, est en passe de se décomplexer. Iacub est bien utile pour redire aux femmes quelle est leur place légitime : sous les reins des puissants, et aux pauvres, dans le même mouvement : la main au portefeuille, pour assister de loin aux partouzes des élites.
Ça aurait été plus direct et marrant, les gars, si vous vous étiez fait imprimer des tee-shirts "on est tous des trousseurs de domestiques" puisqu'au final c'est là que vous paraissez vouloir en venir, à tout prix. Une femme de chambre, ça ne devrait pas coûter aussi cher, le fond du problème c'est ça. La parole des pauvres, la gueulante des opprimés, même entendues de loin, visiblement vous gênent pour dîner entre vous, tranquilles. L'enthousiasme avec lequel vous venez nous dire qu'on devrait trouver tout ça formidable est quand même dur à avaler. Vous êtes peut-être tous des trousseurs de domestiques, mais vous devriez vous méfier du pénible arrière-goût que nous laisse, à la longue, l'impression d'être toutes vos femmes de ménage.
http://www.lemonde.fr/livres/article/2013/02/28/dur-a-avaler_1840171_3260.html
Dur à avaler
LE MONDE DES LIVRES | 28.02.2013 à 16h06
Par Virginie Despentes, écrivain
Qu'il y ait des meufs dans le 6earrondissement de Paris qui s'agitent volontiers sur les queues qui peuvent leur rapporter de l'argent : rien de neuf. S'il ne s'agissait que de désir, elles sortiraient de leur quartier. Qu'on vienne demander encore un effort aux citoyens, la classe moyenne aura bien quelques euros à débourser pour l'Obs, pour Libé et pour Stock - le gogo, on le sait, s'attrape bien par la libido : rien de neuf. On ne donne jamais assez aux riches. La sensation pénible d'assister à la débâcle d'une cour en folie, toujours rien de neuf. L'ironie du sort, qui veut que l'homme mis en scène soit celui qui dirigea longtemps l'organisation qui a orchestré la dette, ce trait qu'on veut tirer sur toute utopie en hypothéquant nos futurs, n'a rien de neuf non plus.
Du côté de l'Obs, rien de bien neuf non plus, cette gauche-là tutoie les sommets. Et quand Joffrin consacre la "une" de son journal au livre de Iacub, ce n'est pas qu'il vient de découvrir les vertus de la presse façon Closer, c'est la littérature qui l'appelle. Il s'explique dans son petit édito : "Les qualités littéraires du livre étaient indiscutables." Joffrin, on ne savait pas qu'il avait la faculté de trier ce qui entre en bibliothèque de ce qui part à la poubelle. On devrait faire appel à lui plus souvent, on s'épargnerait un tas de discussions oiseuses.
La littérature, pas la peine de s'en faire pour elle, en a vu d'autres, elle a toujours aussi servi les intérêts des boutiquiers et, si elle doit continuer d'avoir un sens, elle s'en remettra. Puisque le propre de la littérature, justement, est de prendre avec le temps une force que les plus calamiteuses entreprises de négoce ne devraient pouvoir saccager.
GARDES-CHIOURMES
Un parallèle, cependant, m'intrigue : qu'on se souvienne du silence pour le moins poli qui suivit quasi unanimement la publication du texte de Tristane Banon Le Bal des hypocrites (Au Diable Vauvert, 2011). A cette époque, les critiques littéraires se drapaient dans la dignité la plus offensée : ah non, ça, ce n'était pas de la littérature. Elle, ils l'ont vue venir et ils nous ont prévenus : voyeurisme, volonté pathétique de faire parler d'elle, petit texte sans importance. Les gardes-chiourmes étaient là, la pudeur brandie en bandoulière, pour s'assurer que la jeune auteure ne tirerait aucun bénéfice critique de son entreprise d'écriture. Mais, quand il s'agit des errements érotico-neuneus d'une bourgeoise mollement masochiste, on fait le tour des plateaux télé pour ameuter le chaland. Quand je lis dans Libé, sous la plume de Lançon, que Iacub, c'est un peu Sade qui rencontre Guibert, je demande quand même à ce qu'on m'explique pourquoi Banon n'a été pour personne Bret Easton Ellis qui rencontrait Joan Didion. Son texte à elle posait pourtant quelques questions intéressantes.
Par exemple, ce refus atypique du droit de cuissage, cette histoire de petite fille qui se débat quand on veut la prendre de force. Qui non seulement se sauve, mais encore décide de ne pas se taire, contre les conseils avisés de son milieu. Il y avait une petite transgression, là-dedans, un joli refus de se laisser faire, par deux fois. Ce courage-là, hors de question de le saluer. Banon, c'était le texte anecdotique d'une pauvre fille. Alors pourquoi Iacub est l'égérie féministe de la presse de gauche d'aujourd'hui ? De l'oeuvre de Iacub, on avait peine à retenir grand-chose, jusqu'alors, si ce n'est une obsession du genre : le viol ne serait qu'une vue de l'esprit, une confusion mentale, une soumission à la propagande féministe.
On sait que, vu du côté des hommes, les auteures ne sont jamais aussi intéressantes que quand elles décrivent ce qui leur passe entre les cuisses. On découvre aujourd'hui que c'est encore mieux si elles se soumettent aux diktats patriarcaux les plus éculés. Tant il est vrai que, vu d'une certaine gauche, qualifier l'immigrée de laide et de vulgaire, on ne s'en lassera jamais. Comme rappeler qu'une femme de pouvoir, telle Sinclair, émascule toujours l'homme qu'elle épouse. La gauche, elle aussi, est en passe de se décomplexer. Iacub est bien utile pour redire aux femmes quelle est leur place légitime : sous les reins des puissants, et aux pauvres, dans le même mouvement : la main au portefeuille, pour assister de loin aux partouzes des élites.
Ça aurait été plus direct et marrant, les gars, si vous vous étiez fait imprimer des tee-shirts "on est tous des trousseurs de domestiques" puisqu'au final c'est là que vous paraissez vouloir en venir, à tout prix. Une femme de chambre, ça ne devrait pas coûter aussi cher, le fond du problème c'est ça. La parole des pauvres, la gueulante des opprimés, même entendues de loin, visiblement vous gênent pour dîner entre vous, tranquilles. L'enthousiasme avec lequel vous venez nous dire qu'on devrait trouver tout ça formidable est quand même dur à avaler. Vous êtes peut-être tous des trousseurs de domestiques, mais vous devriez vous méfier du pénible arrière-goût que nous laisse, à la longue, l'impression d'être toutes vos femmes de ménage.
- GruntBanni·e
- Messages : 2074
Date d'inscription : 27/09/2011
Re: Avis de Despentes sur Iacub
01.03.13 19:07
Ça envoie du lourd, j'aime beaucoup
Re: Avis de Despentes sur Iacub
01.03.13 20:07
Je ne m’exprime pas sur Marcella I car c’est une femme, pas la peine de l’accabler. Je me range aussi derrière les analystes radicales à son propos, j’en ai lu plusieurs ces jours-ci.
J’entendais à la radio que peu avant son « histoire » avec DSK, elle était très dépressive et parlait même de suicide. Cela permet de voir l’affaire sous un autre angle, je trouve.
J’entendais à la radio que peu avant son « histoire » avec DSK, elle était très dépressive et parlait même de suicide. Cela permet de voir l’affaire sous un autre angle, je trouve.
- AraignéeAncien⋅ne
- Messages : 4550
Date d'inscription : 02/09/2012
Re: Avis de Despentes sur Iacub
02.03.13 4:59
J'adore ce papier aussi.
Pierre, c'est intéressant ce que tu dis sur le fait qu'elle était très dépressive quand elle a commencé sa relation avec DSK. Les pervers ont une forte tendance à rechercher les personnes faibles psychologiquement (logique, c'est plus facile de les manipuler et de leur faire subir et accepter humiliations et violences).
Pierre, c'est intéressant ce que tu dis sur le fait qu'elle était très dépressive quand elle a commencé sa relation avec DSK. Les pervers ont une forte tendance à rechercher les personnes faibles psychologiquement (logique, c'est plus facile de les manipuler et de leur faire subir et accepter humiliations et violences).
Re: Avis de Despentes sur Iacub
02.03.13 8:24
En même temps, il y a ce mail qui a surgi de nulle part, qu'elle aurait adressé à DSK le 28/11/2012
http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/02/27/affaire-dsk-iacub-un-mail-qui-jette-le-soupcon-sur-la-sincerite-de-l-auteure_1839469_3224.html
Ce qui accréditerait la thèse de la manipulation, de la part de personnes de son entourage pour la faire tomber dans les griffes de DSK.
"Après tant de mensonges et d'esclandres, je me sens obligée maintenant de te dire la vérité, écrit Marcela Iacub. Ma conscience me tourmente depuis presque un an. Je suis une personne honnête et je me suis laissé entraîner d'une manière un peu légère dans un projet te concernant auquel je n'aurais pas dû participer. Les gens avec lesquels j'ai travaillé m'ont un peu dégoûtée après coup parce qu'ils se sont servis de moi comme d'un instrument pour te nuire. Et ce n'est pas cela que je cherchais. Je te jure. Je ne voulais pas te nuire mais essayer de comprendre ce phénomène étrange que tu es. (...) Il m'a fallu te faire croire que j'étais éprise de toi, que j'étais folle de toi."
"Je suis désolée, poursuit-elle, je te demande pardon mais je sais que tu ne me pardonneras jamais. Je ne le ferais pas non plus à ta place. Mais sache en tout cas que je le regrette profondément. J'ai essayé de te le dire il y a quelques mois mais tu ne voulais plus me parler. Mais c'est vrai que c'était en partie un peu de ta faute aussi. Tu aurais pu te rendre compte tout seul si tu avais fait un peu attention."
"PAS DES GENS MÉCHANTS MAIS UN PEU INCONSCIENTS ET FOUS"
Elle ajoute : "Je te demande d'effacer ce mail. Je ne veux pas ajouter cet aveu au problème terrible que j'ai en ce moment à cause d'eux. Ce ne sont pas des gens méchants mais un peu inconscients et fous."
http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/02/27/affaire-dsk-iacub-un-mail-qui-jette-le-soupcon-sur-la-sincerite-de-l-auteure_1839469_3224.html
Ce qui accréditerait la thèse de la manipulation, de la part de personnes de son entourage pour la faire tomber dans les griffes de DSK.
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