Demande de documentation sur les stratégies militantes non-safe reposant sur des analogies entre oppressions
15.01.17 14:41
Bonjour à tou-te-s,
Je crois que ça existe mais je n'arrive pas à remettre la main dessus, donc j'appelle à l'aide : connaîtriez-vous de bons articles pédagogiques qui expliquent pourquoi il ne faut pas utiliser une oppression pour lutter contre une autre oppression, pourquoi il ne faut pas comparer les oppressions entre elles, etc. même avec l'intention louable de combattre une oppression (par exemple qui expliquent pourquoi on ne peut pas lutter contre l'homophobie en disant : "vous voyez, persécuter les homosexuel-le-s, c'est comme persécuter les personnes racisées, c'est mal", etc.) ? Parce que la stratégie de ce genre d'analogie revient souvent, j'ai l'impression, chez les militant-e-s peu déconstruit-e-s d'une cause (qui sont peut-être bien déconstruit-e-s par rapport à leur cause, mais qui n'ont pas une vision globale suffisamment approfondie des autres luttes et de la manière dont elles s'articulent entre elles). Et c'est pas toujours évident d'expliquer les choses en profondeur simplement. Et parfois on se retrouve face à des personnes concernées par l'oppression ainsi instrumentalisée et qui ne voient pas non plus le problème (et dont les autres vont se servir comme caution). J'ai cherché dans le forum si une discussion existait déjà à ce sujet mais je n'ai rien trouvé...
Merci par avance !
Cordialement,
Anarchamory
Je crois que ça existe mais je n'arrive pas à remettre la main dessus, donc j'appelle à l'aide : connaîtriez-vous de bons articles pédagogiques qui expliquent pourquoi il ne faut pas utiliser une oppression pour lutter contre une autre oppression, pourquoi il ne faut pas comparer les oppressions entre elles, etc. même avec l'intention louable de combattre une oppression (par exemple qui expliquent pourquoi on ne peut pas lutter contre l'homophobie en disant : "vous voyez, persécuter les homosexuel-le-s, c'est comme persécuter les personnes racisées, c'est mal", etc.) ? Parce que la stratégie de ce genre d'analogie revient souvent, j'ai l'impression, chez les militant-e-s peu déconstruit-e-s d'une cause (qui sont peut-être bien déconstruit-e-s par rapport à leur cause, mais qui n'ont pas une vision globale suffisamment approfondie des autres luttes et de la manière dont elles s'articulent entre elles). Et c'est pas toujours évident d'expliquer les choses en profondeur simplement. Et parfois on se retrouve face à des personnes concernées par l'oppression ainsi instrumentalisée et qui ne voient pas non plus le problème (et dont les autres vont se servir comme caution). J'ai cherché dans le forum si une discussion existait déjà à ce sujet mais je n'ai rien trouvé...
Merci par avance !
Cordialement,
Anarchamory
- IridaceaAncien⋅ne
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Re: Demande de documentation sur les stratégies militantes non-safe reposant sur des analogies entre oppressions
15.01.17 14:53
Tu as raté ceci et cela. Ce blog par exemple est à fouiller.Anarchamory a écrit:J'ai cherché dans le forum si une discussion existait déjà à ce sujet mais je n'ai rien trouvé...
Bon, sinon, je comprends plus ou moins ton idée, mais il faudrait expliquer ce que tu entends concrètement par « déconstruction », et notamment comment tu évalues les degrés de cette dernière chez autrui. Et si, in fine, on peut achever celle-ci afin d'arriver au stade ultime de personne déconstruite.
Re: Demande de documentation sur les stratégies militantes non-safe reposant sur des analogies entre oppressions
15.01.17 21:33
J'étais bien tombé sur le premier lien et l'avait parcouru mais je n'avais pas eu le sentiment qu'il répondait vraiment à mon questionnement. Merci pour les deux autres liens que je vais aller explorer.
Iridacea a écrit:Bon, sinon, je comprends plus ou moins ton idée, mais il faudrait expliquer ce que tu entends concrètement par « déconstruction », et notamment comment tu évalues les degrés de cette dernière chez autrui. Et si, in fine, on peut achever celle-ci afin d'arriver au stade ultime de personne déconstruite.
Comme la liberté au sens libertaire, je pense que la déconstruction est un processus social, jamais terminé ni fixe, qui permet à chacun et chacune de prendre pleinement le contrôle de sa vie. En fait, je ne suis pas loin de penser qu'être déconstruit-e, c'est être libre en ce sens, au moins pour ce qui a trait à l'emprise des normes sociales sur la conduite individuelle. Et ça permet aux autres d'être libres également, en un sens plus large cette fois, incluant l'acceptation sociale et la solidarité.
Évidemment, à partir du moment où on a conscience d'être un-e oppresseur-euse, il faut déjà agir de manière à ne plus l'être. Mais au début, il me semble que ça ne va pas toujours forcément de soi, ce n'est pas "naturel", et on doit donc souvent lutter consciemment pour compenser nos propres tendances oppressives (en tout cas c'est le sentiment que j'ai). Ensuite ça finit —travail sur soi aidant, avec l'aide des camarades— par devenir une attitude spontanée. Comment évaluer les degrés de la déconstruction ? Je n'ai pas vraiment creusé la question, mais intuitivement, je dirais que le sentiment de sécurité qu'éprouvent les personnes opprimées en présence de la personne en déconstruction est un bon indicateur...
- IridaceaAncien⋅ne
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Re: Demande de documentation sur les stratégies militantes non-safe reposant sur des analogies entre oppressions
15.01.17 22:10
Reprendre la définition anarchiste de la liberté pour l'appliquer comme tu le fais à la déconstruction, cela revient à dire que « je ne suis pas déconstruit tant qu’un seul n’est pas déconstruit » ; et : « la déconstruction des autres, bien loin de la limiter, étend la mienne à l’infini. » Ce qui est un contresens à mon sens assez curieux : personne, adhérant à cette définition de la liberté, n'oserait dire d'elle-même ou d'un autre : « je suis libre, il n'est pas assez libre sur ce sujet ».Anarchamory a écrit:Comme la liberté au sens libertaire, je pense que la déconstruction est un processus social, jamais terminé ni fixe, qui permet à chacun et chacune de prendre pleinement le contrôle de sa vie. En fait, je ne suis pas loin de penser qu'être déconstruit-e, c'est être libre en ce sens, au moins pour ce qui a trait à l'emprise des normes sociales sur la conduite individuelle. Et ça permet aux autres d'être libres également, en un sens plus large cette fois, incluant l'acceptation sociale et la solidarité.Iridacea a écrit:Bon, sinon, je comprends plus ou moins ton idée, mais il faudrait expliquer ce que tu entends concrètement par « déconstruction », et notamment comment tu évalues les degrés de cette dernière chez autrui. Et si, in fine, on peut achever celle-ci afin d'arriver au stade ultime de personne déconstruite.
Ce que je souhaite souligner, c'est que cette histoire de déconstruction, c'est un terme un peu flou, voire creux, qui cherche à situer des individus par rapport à leur conscience de l'absence de naturalité des normes et structures sociales ; mais que ce terme attribue aux individus une valeur sur l'échelle du bon militant : elle est peu déconstruite, il a beaucoup déconstruit telle oppression. In fine, cela contribue à naturaliser cette déconstruction, puisque qu'elle devient une qualité attachée aux individus, un peu comme le mot safe à toute les sauces. On est safe, parce qu'on est déconstruit du genre ou du racisme, mais surtout dans les termes d'un certain groupe militant. C'est bien entendu une délicieuse ironie de renaturaliser des personnes qui au départ voulaient s'émanciper de ces concepts de naturalité.
Je trouve légèrement aberrante l'idée que, sans que la société qui nous entoure ait changé, on puisse cesser d'être oppresseur en travaillant sur soi. Si les structures restent, les rapports de domination restent aussi !Anarchamory a écrit:Évidemment, à partir du moment où on a conscience d'être un-e oppresseur-euse, il faut déjà agir de manière à ne plus l'être. Mais au début, il me semble que ça ne va pas toujours forcément de soi, ce n'est pas "naturel", et on doit donc souvent lutter consciemment pour compenser nos propres tendances oppressives (en tout cas c'est le sentiment que j'ai). Ensuite ça finit —travail sur soi aidant, avec l'aide des camarades— par devenir une attitude spontanée.
J'utilise personnellement dominant et oppresseur comme synonymes : un groupe en opprime un autre parce qu'il existe un rapport de force, un rapport de domination à son avantage. Alors j'entends bien que l'idée d'oppression connote une volonté de l'oppresseur, et qu'il est donc tentant de se dire qu'en travaillant dur, on va cesser d'opprimer les autres. Mais cette idée revient à individualiser les rapports sociaux : on ne parle plus de domination d'une classe sur une autre, mais d'oppression d'un individu sur un autre.
Tout ça pour dire qu'on ne peut pas cesser d'opprimer autrui par la simple déconstruction. Au mieux, on peut s'efforcer d'être le moins toxique possible pour les personnes appartenant à une autre classe.
Bof. Comme tu l'auras compris, je trouve l'idée de la déconstruction bancale, donc à partir de là, parler de degrés de déconstruction était plus une boutade pour souligner un concept absurde qu'autre chose. Néanmoins, même en admettant qu'on puisse mesurer une déconstruction, je trouve que parler d'un sentiment de sécurité commun à toutes les personnes opprimées face à un vaillant déconstruit est un rien illusoire : toutes ces personnes opprimées n'ont pas les mêmes besoins ni les mêmes envies, et notamment certaines vont délibérément éviter les personnes de la classe dominante, par pur instinct de survie. Je trouve enfin que penser ces personnes opprimées comme un groupe homogène aux mêmes besoins consiste, encore une fois, à naturaliser ces dernières, à les renvoyer à ce qu'elles cherchent à priori à éviter.Anarchamory a écrit:Comment évaluer les degrés de la déconstruction ? Je n'ai pas vraiment creusé la question, mais intuitivement, je dirais que le sentiment de sécurité qu'éprouvent les personnes opprimées en présence de la personne en déconstruction est un bon indicateur...
- TortueAncien⋅ne
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Re: Demande de documentation sur les stratégies militantes non-safe reposant sur des analogies entre oppressions
02.05.17 14:13
Je n'aime pas le mot « deconstruction » parce que ca sous-entend que quand on aura déconstruit tout ce que la société nous a appris on retrouvera notre base qui est tellement plus chouette. (nature/culture) Il n'y a pas moyen de « deconstruire » ce qu'on a apris, juste des moyen de s'arranger avec ca. (et il y a probablement d'autre moyen d'interpreter ce mot.)
Je trouve que prendre conscience qu'on est raciste/sexiste/capitaliste/classiste/spéciste/et tout et tout est plutot un processus de construction. On peut pas etre déconstruit du racisme (par exemple), mais on peut en etre conscient. J'ai l'impression qu'il y a une confusion entre « déconstruire » qui signifie un peu « détruire » ou « annuler » et qui a une connotation salvatrice, et etre conscient de quelque chose (ce qui est un peu moins héroique) parce que en général on parle d'une personne « déconstruite » quand cette personne assume simplement la possibilité d'etre ceci ou cela et d'y réfléchir.
Les paralleles servent a atteindre les gens. Par exemple (chez les anar) on ne doutera pas de la parole de quelqu'un qui se fait taper la gueule par des flics. Il y a consensus sur le fait que les flics sont violent et on ne dira jamais « oui fin bon aussi, aller crier des insultes dans une manif illégale, tu l'as bien cherché aussi, tu aurais du faire attention, puis avec ta gueule d'arabe tu sais bien, ils aime pas ca » etc... Le victim-blaming en cas de violence policiere dans ce millieu est assez peu tolléré.
On peut partir de cet exemple pour expliquer pourquoi lorsqu'une fille dénonce des comportement sexiste a son égard c'est trop énervant de se faire questionner, parce que ca touche a des expérience commune. Les personnes qui sont victimes de violence policieres ont aussi tres souvent l'experience du victim-blaming. Du coup ce n'est pas un moyen de comparer les oppression mais de se trouver des expériences plus au moins commune pour communiquer ensemble.
Par contre construire une argumentation ou une « déconstruction » sur des paralleles, c'est foireux et ca peut faire tres mal surtout si on manie des oppressions qui ne nous consernent pas. Je me rend compte que chez les feministes blanches, pour expliquer le racisme on passe quasiment toujours par un parrallele avec le sexisme. Le discours est un peu : « regarde, le racisme c'est comme le sexisme tu es opprimée comme ci et comme ca et alors pif et paf et pouf» et les personne qui faisait se parrallele se sentent bien « déconstruite » du racisme puisqu'apres tout, c'est comme le sexisme et le sexisme, ca, elles connaissent, et finalement on ne parle pas de racisme. Le truc de faire des parallele je crois c'est que ca peut etre un moyen de gommer les spécificité et d'universaliser les oppressions. Genre j'en ai comprie une (généralement parce que j'en suis victime) donc par parallele, je les ai toutes comprises.
Je trouve que prendre conscience qu'on est raciste/sexiste/capitaliste/classiste/spéciste/et tout et tout est plutot un processus de construction. On peut pas etre déconstruit du racisme (par exemple), mais on peut en etre conscient. J'ai l'impression qu'il y a une confusion entre « déconstruire » qui signifie un peu « détruire » ou « annuler » et qui a une connotation salvatrice, et etre conscient de quelque chose (ce qui est un peu moins héroique) parce que en général on parle d'une personne « déconstruite » quand cette personne assume simplement la possibilité d'etre ceci ou cela et d'y réfléchir.
Les paralleles servent a atteindre les gens. Par exemple (chez les anar) on ne doutera pas de la parole de quelqu'un qui se fait taper la gueule par des flics. Il y a consensus sur le fait que les flics sont violent et on ne dira jamais « oui fin bon aussi, aller crier des insultes dans une manif illégale, tu l'as bien cherché aussi, tu aurais du faire attention, puis avec ta gueule d'arabe tu sais bien, ils aime pas ca » etc... Le victim-blaming en cas de violence policiere dans ce millieu est assez peu tolléré.
On peut partir de cet exemple pour expliquer pourquoi lorsqu'une fille dénonce des comportement sexiste a son égard c'est trop énervant de se faire questionner, parce que ca touche a des expérience commune. Les personnes qui sont victimes de violence policieres ont aussi tres souvent l'experience du victim-blaming. Du coup ce n'est pas un moyen de comparer les oppression mais de se trouver des expériences plus au moins commune pour communiquer ensemble.
Par contre construire une argumentation ou une « déconstruction » sur des paralleles, c'est foireux et ca peut faire tres mal surtout si on manie des oppressions qui ne nous consernent pas. Je me rend compte que chez les feministes blanches, pour expliquer le racisme on passe quasiment toujours par un parrallele avec le sexisme. Le discours est un peu : « regarde, le racisme c'est comme le sexisme tu es opprimée comme ci et comme ca et alors pif et paf et pouf» et les personne qui faisait se parrallele se sentent bien « déconstruite » du racisme puisqu'apres tout, c'est comme le sexisme et le sexisme, ca, elles connaissent, et finalement on ne parle pas de racisme. Le truc de faire des parallele je crois c'est que ca peut etre un moyen de gommer les spécificité et d'universaliser les oppressions. Genre j'en ai comprie une (généralement parce que j'en suis victime) donc par parallele, je les ai toutes comprises.
- AëlloonAncien⋅ne
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Re: Demande de documentation sur les stratégies militantes non-safe reposant sur des analogies entre oppressions
03.05.17 1:35
@Anarchamory : Il y a cette phrase d'Audre Lord qui correspond peut-être à ta question:
Après je comprends ton propos, cela dit j'ai moi-même utilisé des analogies entre oppressions pour tenter d'expliquer le phénomène sexiste à des personnes non-femmes, donc pas directement exposées, et ce parfois avec succès !
Des fois très simplement, en disant que oui, les sexisme est aussi dégueulasse que le racisme, et qu'il ne s'agit absolument pas de hiérarchiser les discriminations entre elles car elles sont toutes également injustes et dégueulasses (je pense que nous sommes d'accord), mais qu'au contraire, aucune discrimination ne doit être sous-estimée ni minimisée.
Ça m'est arrivé de dire que le sexisme est le racisme du lâche, car en tant que femme sur des chantiers (je bossais dans le bâtiment), face à un grand noir ou un arabe bien costaud, les racistes se taisent alors que face à une femme, les sexistes l'ouvrent bien grand car ils savent qu'il y a peu de chances pour qu'elles leur éclatent la tronche (et ça n'arrive pas que sur les chantiers...).
Il ne s'agit pas de légitimer la violence physique en tant que méthode militante, mais bien d'observer les réactions émotionnelles légitimes des personnes victimes, et de réaliser que si certaines peuvent physiquement se défendre, d'autres pas.
C'est un simple exemple...
Je suis sortie à une époque avec un métisse, et nous avons progressé ensemble sur la question, au final, nous avons compris que même si nous savons l'un comme l'autre que le racisme et le sexisme sont des discriminations réelles et également condamnables, chacun-e ne connait vraiment que l'oppression qu'iel subit au quotidien, et que ces vécus sont comme des icebergs dont chacun ne perçoit que la partie émergée de l'autre.
Je te conseille de te renseigner à ce sujet sur le théâtre forum d'Augusto Boal, le théâtre de l'opprimé.
C'est une technique théâtrale qui permet de mettre en lumière des oppressions spécifiques et ensuite de proposer, dans un second temps, des solutions, des soutiens...
Ça permet d'y voir tout de suite beaucoup plus clair, et de façon concrète, parce que toute la difficulté c'est de ne pas se planter à force d'oublier de confronter les réalités pratiques à la théorie (qui les oublie souvent).
On joue une scène une première fois où on montre le cas précis d'oppression dont il est question puis on rejoue la scène, et là, le public peut directement intervenir sur scène pour proposer des solutions.
La personne oppressée sur scène (qu'elle vienne du public ou de la troupe de théâtre) doit en réalité impérativement avoir la caractéristique discriminante dont il est question: un homme ne peut pas prendre la place d'une femme, un-e blanc-he ne peut pas prendre la place d'un-e racisé-e, ect...
Pourquoi ? Parce que nous (femmes, par exemple) avons intériorisé des mécanismes d'oppression spécifiques que les autres personnes n'ont pas expérimenté, voire dont elles ne soupçonnent même pas l'existence.
Ces personnes extérieures à cette oppression spécifique ne réagiront donc pas comme les personnes spécifiquement oppressées de cette façon et fausseraient donc le résultat du théâtre forum.
Si une personne qui n'a pas la caractéristique en question veut monter sur scène pour intervenir, elle ne peut pas prendre la place de l'oppressé-e mais peut par contre intervenir en tant que soutien de l'oppressé-e.
C'est une technique qui aide à prendre conscience de l'immense différence qu'il y a entre "être solidaire d'une personne discriminée" et "être soi-même discriminé-e".
Et c'est bien plus qu'une différence, c'est un gouffre entre deux mondes !
Quelques liens si ça t'intéresse:
http://www.theatrons.com/theatre-forum-boal.php
http://www.theatredelopprime.com/compagnie/theatre-forum/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Augusto_Boal
https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9%C3%A2tre_forum
Il y a aussi le Blue eyes/Brown eyes experiment de Jane Elliot, dans lequel un groupe est scindé en deux parties, l'un sera favorisé et l'autre défavorisé selon qu'ils aient ou pas une caractéristique arbitrairement définie par un élément physique (ici la couleur des yeux, et bien-sûr, les yeux bleus, qui sont généralement détenus par des blan-he-s, seront les défavorisé-e-s).
Le grand intérêt de cette technique c'est l'inversion des classes privilégiées et oppressées, mais aussi l'intersectionnalité (des blanc-he-s peuvent avoir les yeux marrons et des personnes racisées peuvent avoir les yeux bleus/vert/ect) et donc on prend d'autant mieux conscience du caractère arbitraire de la discrimination.
J'ai vu une vidéo (que j'ai postée quelque part sur ce forum, je ne sais plus où ^^) sur les discriminations qui en parlait et avait refait l'expérience avec des enfants en Suisse, dans une classe de primaire avec un autre critère: la taille.
Et là, les petits étaient donc définis comme supérieurs et les grands comme inférieurs.
C'était... édifiant !
En espérant que ça t'aidera à y voir plus clair.
Audre Lord a écrit:On ne détruit pas la maison du maître avec les outils du maître.
Après je comprends ton propos, cela dit j'ai moi-même utilisé des analogies entre oppressions pour tenter d'expliquer le phénomène sexiste à des personnes non-femmes, donc pas directement exposées, et ce parfois avec succès !
Des fois très simplement, en disant que oui, les sexisme est aussi dégueulasse que le racisme, et qu'il ne s'agit absolument pas de hiérarchiser les discriminations entre elles car elles sont toutes également injustes et dégueulasses (je pense que nous sommes d'accord), mais qu'au contraire, aucune discrimination ne doit être sous-estimée ni minimisée.
Ça m'est arrivé de dire que le sexisme est le racisme du lâche, car en tant que femme sur des chantiers (je bossais dans le bâtiment), face à un grand noir ou un arabe bien costaud, les racistes se taisent alors que face à une femme, les sexistes l'ouvrent bien grand car ils savent qu'il y a peu de chances pour qu'elles leur éclatent la tronche (et ça n'arrive pas que sur les chantiers...).
Il ne s'agit pas de légitimer la violence physique en tant que méthode militante, mais bien d'observer les réactions émotionnelles légitimes des personnes victimes, et de réaliser que si certaines peuvent physiquement se défendre, d'autres pas.
C'est un simple exemple...
Je suis sortie à une époque avec un métisse, et nous avons progressé ensemble sur la question, au final, nous avons compris que même si nous savons l'un comme l'autre que le racisme et le sexisme sont des discriminations réelles et également condamnables, chacun-e ne connait vraiment que l'oppression qu'iel subit au quotidien, et que ces vécus sont comme des icebergs dont chacun ne perçoit que la partie émergée de l'autre.
Je te conseille de te renseigner à ce sujet sur le théâtre forum d'Augusto Boal, le théâtre de l'opprimé.
C'est une technique théâtrale qui permet de mettre en lumière des oppressions spécifiques et ensuite de proposer, dans un second temps, des solutions, des soutiens...
Ça permet d'y voir tout de suite beaucoup plus clair, et de façon concrète, parce que toute la difficulté c'est de ne pas se planter à force d'oublier de confronter les réalités pratiques à la théorie (qui les oublie souvent).
On joue une scène une première fois où on montre le cas précis d'oppression dont il est question puis on rejoue la scène, et là, le public peut directement intervenir sur scène pour proposer des solutions.
La personne oppressée sur scène (qu'elle vienne du public ou de la troupe de théâtre) doit en réalité impérativement avoir la caractéristique discriminante dont il est question: un homme ne peut pas prendre la place d'une femme, un-e blanc-he ne peut pas prendre la place d'un-e racisé-e, ect...
Pourquoi ? Parce que nous (femmes, par exemple) avons intériorisé des mécanismes d'oppression spécifiques que les autres personnes n'ont pas expérimenté, voire dont elles ne soupçonnent même pas l'existence.
Ces personnes extérieures à cette oppression spécifique ne réagiront donc pas comme les personnes spécifiquement oppressées de cette façon et fausseraient donc le résultat du théâtre forum.
Si une personne qui n'a pas la caractéristique en question veut monter sur scène pour intervenir, elle ne peut pas prendre la place de l'oppressé-e mais peut par contre intervenir en tant que soutien de l'oppressé-e.
C'est une technique qui aide à prendre conscience de l'immense différence qu'il y a entre "être solidaire d'une personne discriminée" et "être soi-même discriminé-e".
Et c'est bien plus qu'une différence, c'est un gouffre entre deux mondes !
Quelques liens si ça t'intéresse:
http://www.theatrons.com/theatre-forum-boal.php
http://www.theatredelopprime.com/compagnie/theatre-forum/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Augusto_Boal
https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9%C3%A2tre_forum
Il y a aussi le Blue eyes/Brown eyes experiment de Jane Elliot, dans lequel un groupe est scindé en deux parties, l'un sera favorisé et l'autre défavorisé selon qu'ils aient ou pas une caractéristique arbitrairement définie par un élément physique (ici la couleur des yeux, et bien-sûr, les yeux bleus, qui sont généralement détenus par des blan-he-s, seront les défavorisé-e-s).
Le grand intérêt de cette technique c'est l'inversion des classes privilégiées et oppressées, mais aussi l'intersectionnalité (des blanc-he-s peuvent avoir les yeux marrons et des personnes racisées peuvent avoir les yeux bleus/vert/ect) et donc on prend d'autant mieux conscience du caractère arbitraire de la discrimination.
J'ai vu une vidéo (que j'ai postée quelque part sur ce forum, je ne sais plus où ^^) sur les discriminations qui en parlait et avait refait l'expérience avec des enfants en Suisse, dans une classe de primaire avec un autre critère: la taille.
Et là, les petits étaient donc définis comme supérieurs et les grands comme inférieurs.
C'était... édifiant !
En espérant que ça t'aidera à y voir plus clair.
- AraignéeAncien⋅ne
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Re: Demande de documentation sur les stratégies militantes non-safe reposant sur des analogies entre oppressions
03.05.17 16:21
Ça me fait penser à la psychanalyse. Souvent, les gens pensent que la psychanalyse sert à se libérer de ses mécanismes inconscients (de les déconstruire, dans le sens les déboulonner, et ranger les morceaux dans une boîtes pour démarrer une nouvelle vie). Alors qu'en fait, bien plus modestement, il s'agit de connaître ces mécanismes (qui ne disparaissent pas pour autant) afin d'avoir plus de prise dessus, et ainsi gagner en liberté.Tortue a écrit:Je n'aime pas le mot « deconstruction » parce que ca sous-entend que quand on aura déconstruit tout ce que la société nous a appris on retrouvera notre base qui est tellement plus chouette. (nature/culture) Il n'y a pas moyen de « deconstruire » ce qu'on a appris, juste des moyen de s'arranger avec ca. (et il y a probablement d'autre moyen d'interpreter ce mot.)
Je trouve que prendre conscience qu'on est raciste/sexiste/capitaliste/classiste/spéciste/et tout et tout est plutot un processus de construction. On peut pas etre déconstruit du racisme (par exemple), mais on peut en etre conscient. J'ai l'impression qu'il y a une confusion entre « déconstruire » qui signifie un peu « détruire » ou « annuler » et qui a une connotation salvatrice, et etre conscient de quelque chose (ce qui est un peu moins héroique) parce que en général on parle d'une personne « déconstruite » quand cette personne assume simplement la possibilité d'etre ceci ou cela et d'y réfléchir.
Il me semble que de la même manière, ce qu'on appelle "déconstruction", ce serait plutôt le simple fait de connaître nos réflexes racistes/sexistes/spécistes/etc, afin d'avoir plus de prise dessus. Pour autant, ces réflexes ne disparaissent pas, parce qu'ils sont intrinsèques à la société dans laquelle on vit...
- AëlloonAncien⋅ne
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Re: Demande de documentation sur les stratégies militantes non-safe reposant sur des analogies entre oppressions
05.05.17 23:53
Ou servir à reconstruire plus intelligemment/équitablement
- IridaceaAncien⋅ne
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[Article] A propos de la déconstruction
07.06.17 18:26
Je viens de lire un billet de blog qui revient sur ce terme de déconstruction tel qu'il est utilisé dans certains milieux militants. Son analyse rejoint un peu ce que disait @Tortue plus haut : en faisant la course à la déconstruction, on suppose que notre nature a été souillée par la société, et qu'à la base elle serait « non-oppressive ». On oublie ce faisant que les analyses militantes sont des constructions.
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